Lycée Galilée de Gennevilliers, un courrier du maire à la Ministre

Patrice Leclerc
Gennevilliers

Madame la Ministre,

Nous revenons vers vous car nous sommes toujours dans l’expectative quant à la situation du lycée Galilée depuis la sortie de l’Education Prioritaire. Si nous souhaitons le maintien des moyens qui lui ont été alloués dans ce cadre, c’est au regard de la spécificité de son public.

Ce dernier est en effet issu de trois collèges dont l’un est en REP, l’autre en REP+.
En ce qui concerne le troisième qui a récemment perdu cette qualification, il mérite une analyse nuancée. Il est en effet composé de ce que les sociologues définissent comme étant une « population contrastée » : tandis qu’on observe, à une extrémité, des élèves venant d’un quartier classé ANRU, à l’autre, ils sont issus de classes moyennes. Il n’existe pas de population intermédiaire opérant une continuité entre ces deux bornes.

Gennevilliers n’ayant pas de « bourgeoisie possédante », sa classe moyenne regroupe uniquement des populations dont la richesse provient principalement du « capital scolaire ». Or, l’adéquation entre la réussite scolaire des élèves et l’appartenance à cette catégorie sociale est une observation qui est désormais incontestable. Il faut alors admettre que la moyenne utilisée comme indicateur de mesure qualitative des populations a ici peu de pertinence. Elle a tendance, dans cette situation de « contraste » à minorer, voir à occulter les élèves issu du quartier en ANRU. Ceci est d’autant plus problématique, qu’il ne peut pas y avoir de proportionnalité entre les moyens alloués, et cette moyenne, tant il faut peu pour conserver « une école de la reproduction sociale » et beaucoup pour la démocratiser.

Ce petit détour par l’analyse des populations est nécessaire pour mettre en évidence l’homogénéité des élèves de seconde du lycée Galilée, ceux qui sont issus des milieux les plus dotées en capital scolaire restant très minoritaires.

Nous attirons par ailleurs votre attention sur le risque d’une perte en efficacité de la politique menée par l’Education Nationale à Gennevilliers.

En compensant, sur un même territoire, les moyens alloués dans le primaire et le collège par un désengagement pour le lycée, on se prive d’une stratégie qui prenait en compte la cohérence du concept du réseau. Or, c’est ce dernier qui est à l’origine des solutions qualitatives, et qu’il serait heureux de modéliser pour le droit commun. Il est à l’origine de la réputation acquise par le lycée Galilée de Gennevilliers, qui accueille les élèves dans des conditions favorisant le travail scolaire et une posture autonome. En devenant les acteurs de leur scolarité, ces derniers se préparent au cursus dans le Supérieur, niveau particulièrement sélectif au détriment des catégories modestes.

Dans cet environnement, le corps enseignant qui est la cheville ouvrière des progrès constatés porte une dynamique de l’espoir à tel point, que c’est par choix qu’on enseigne aujourd’hui à Galilée. La stabilité de personnels impliqués est si fragile dans les REP, qu’il ne faudrait pas se priver de cet atout qui pérennise les dispositifs.
Ce sont bien les moyens de l’Education Prioritaire qui, transformés en leviers, par des pédagogues, ont permis ces succès. Ils sont aujourd’hui menacés.

Nous partageons la volonté que vous affichez de lutter contre l’inégalité des chances, celle qui rend inéluctable le marquage social. Or il est des territoires où ce dernier est flagrant. Outre qu’il est inacceptable, il recèle les ferments d’une colère dont on sait combien l’expression dépasse le raisonnable.
L’école reste le seul dispositif national qui touche l’ensemble de la jeunesse. Il est maillé, et sera resserré, tant qu’il n’exclura pas. Or, une scolarité, une formation, ça se conçoit dans le cadre d’un cursus complet. Ainsi, l’Education Prioritaire doit s’étendre de la maternelle au lycée.
Si la stratégie de requalification de territoire passe par la concentration de moyens dans des lieux ciblés, ça n’est pas à leur échelle qu’il faudra négocier les rééquilibrages des dépenses. C’est par la solidarité nationale que se fera l’économie du système, sans oublier de l’imposer à l’école privée.

Tenir comme vous l’aviez fait à Gennevilliers une politiques rigoureuse de rattrapage des inégalités de la maternelle au lycée explique ces résultats qui figurent parmi les meilleurs de l’académie (91% toutes séries confondues, pour un taux de réussite attendu de 86%). Admettez, Madame la Ministre, que les moyens que vous aviez alors consentis sont ici bien utilisés.
Une rupture pédagogique sur un territoire ou la dynamique de l’échec s’inverse serait une erreur et un gâchis.

Aujourd’hui, les parents d’élèves, avec les enseignants, se mobilisent contre un retour à la situation antérieure à celle de l’Education Prioritaire. Nous les soutenons car nous craignons:
– La surcharge des effectifs, alors que les dégradations des dernières années les ont déjà portés à 30 élèves par classe dans la majorité des cas .
– La fin des projets pédagogiques innovants. Ils sont à l’origine des progrès spectaculaires, qui sont allés jusqu’à rendre attractif ce lycée dit « des quartiers ».
– Un accompagnement moins important pour les élèves : les groupes réduits, les devoirs sur table, les révisions pour le baccalauréat, le soutien sur le temps scolaire, etc.

Toutes ces propositions qui s’opposent à l’externalisation des missions de l’école, celles-là même qui subordonnent le succès ou l’échec aux capacités financières des familles.

N’avez-vous pas déclaré que « les enseignants des lycées qui ont vocation à être dans l’éducation prioritaire ont raison de réclamer les mêmes moyens que leurs collègues de collèges », et qu’ « Il faudra faire cette réforme des lycées de l’éducation prioritaire» ?
Quelle cohérence y aurait-il entre vos objectifs et un retour à une situation porteuse d’échec au prétexte d’attendre une hypothétique réforme qui serait de bon augure ? Ne serait-il pas plus sage de procéder à des évaluations, incontestables au regard de la réalité sociale, de ce que produisent les moyens alloués ?

Mercredi 16 novembre, le Conseil municipal a voté, à l’unanimité, un vœu pour le maintien du
lycée en éducation prioritaire, que nous vous adressons (document joint).

Nous vous demandons donc de bien vouloir nous recevoir, dans les meilleurs délais, avec une délégation composée de représentants de parents, d’enseignants. Nous souhaiterions vous décrire la réalité d’un lycée inscrit dans le tissu local.
Vous l’aurez compris notre position est responsable et nuancée. Nous ne croyons pas en un simple effet mécanique entre la quantité des moyens alloués et les résultats obtenus. Le corps enseignant à Gennevilliers montre comment on peut transformer ces moyens en plus-value qualitative. Ce qui est l’objectif.

Recevez, Madame la Ministre, nos salutations respectueuses.

Richard MERRA Patrice LECLERC

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