L’empreinte communiste – PCF et société française, 1920-2010.

Laurent Lévy a fait une note sur le nouveau livre de mon ami Roger Martelli:
Notre ami Roger Martelli publie (aux Editions Sociales !) un nouveau livre, L’empreinte communiste – PCF et société française, 1920-2010. Un esprit chagrin dans mon genre pourrait multiplier les regrets, quant à ce qui aurait pu être dit et ne l’est pas, quant à ce qui est esquissé et que l’”on aimerait voir développer, etc. Mais il n’y a aucun sens à reprocher à un auteur d’écrire un autre livre que celui que l’on attendrait de lui – ou que l’on attend tout court. Prenons le livre tel qu’il est et pour ce qu’il est : on ne sera pas déçu.
L’ouvrage est composé de trois parties : le premier chapitre porte sur ce que Roger appelle les “trois implantations” du PCF : sa naissance, à travers la crise du socialisme et celle de la société française, consécutives à la guerre mondiale ; sa “bolchévisation” au tournant des années 20 et 30 ; son épanouissement à l’époque du Front Populaire et de la Résistance. C’est la partie la plus décevante du livre – même si cette déception est tempérée dans le dernier chapitre – dans la mesure où, si l’on y trouve de nombreuses indications quantitatives, on n’y trouve par contre guère de développements proprement politiques, sur les débats qui ont pu agiter le jeune parti communiste, ou dans lesquels il s’est trouvé pris. Dans un livre déjà bien ancien (Communisme français – Histoire sincère du PCF, 1920, 1984), Roger avait annoncé la couleur, il n’aime guère les “histoires intérieures” : référence était alors faite à l’énorme Histoire intérieure du parti communiste français publiée par Philippe Robrieux, et toute centrée sur les litiges de personnes et les jeux et enjeux d’appareil. Mais sans doute y aurait-il un moyen terme à trouver, permettant de reconstituer les réflexions, et plus généralement les conditions d’élaboration des politiques suivies par le PCF au cours de ces années de formation (et au delà). L’un des intérêt en serait d’ailleurs qu’en permettant aux communistes de mieux connaitre leur histoire, cela leur éviterait de répéter indéfiniment les mêmes questions, et parfois les mêmes erreurs. La plupart des questions qui se posent aujourd’hui se sont posées hier, dans d’autres contextes, certes, et sous d’autres formes, mais sans que ces différences fassent perdre toute pertinence aux réflexions alors suscitées. Le risque est toujours grand de réinventer l’eau tiède, de reprendre à zéro des réflexions qui ont déjà été menées, etc.  Sans prendre au pied de la lettre ces paroles de l’Ecclésiaste, on peut les méditer : “Ce qui fut sera ; ce qui s’est fait se refera : Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. On te dit : « Vois, ceci est nouveau ! » Mais non, cela fut de tout temps avant nous. Il n’y a pas de souvenir des choses passées, et de même de ce qui sera il ne restera aucune trace dans la mémoire de ceux qui viendront par la suite.” L’un des intérêts de l’histoire est sans doute d’éviter ce piège, que l’historien britannique E.H. Carr exprime en disant en substance que la grande leçon de l’histoire est qu’on ne tire jamais les leçons de l’histoire.
Un mot fait, avec ses dérivés, l’objet de nombreuses apparitions dans le livre de Roger, et ce dès ce chapitre sur les “trois implantations”, celui de “stalinisme” (“stalinien”, stalinisé”, etc.). Je regrette que l’analyse du phénomène ne soit pas esquissée, de telle sorte que l’on puisse développer une critique pertinente, à la fois du mot et de la chose… C’est d’autant plus vrai que  ce n’est pas toujours dans son acception décidément péjorative que le mot est employé, et qu’il semble être parfois une simple expression pour désigner l’époque. Mais sans doute serait-on sorti de la problématique qui est celle de Roger, ni analyse générale du communisme, ni même histoire générale du PCF, mais histoire de l’empreinte du PCF sur la société française.
Les trois chapitres suivants décrivent, en sortant de l’étroite limite quantitative du premier, les évolutions du PCF et de son influence au cours de trois périodes : 1947-1969 ; 1969-1978 ; et 1978-2010. S’il ne s’agit pas plus dans ces chapitres d’une histoire générale que dans le premier, on y trouve en grand nombre des remarques qui aident à comprendre le sens des évolutions décrites. Les quelques rares éléments d’une “histoire intérieure” qui sont proposés donnent une idée de l’importance que peut avoir une telle démarche, lorsqu’elle est maitrisée et ne confond pas le travail de l’historien avec celui du journaliste à scandale. Et si l’on reste ici ou là sur sa faim, on est au moins mis en appétit : les dimensions du livre étaient à cet égard une contrainte certaine. Le livre de Stéphane Courtois, qui parait au même moment (Le bolchévisme à la française), deux fois plus épais, est sans doute plus riche en anecdotes : il ne fera pas autant réfléchir que celui de Roger.
Comme si Roger avait voulu écrire son livre crescendo, c’est la troisième partie, faite de deux chapitres d’analyse rétrospective, qui m’ont le plus stimulé. Analysant successivement “les racines du communisme français” et “un communisme du XXe siècle”, ces deux chapitres offrent une vue panoramique des traditions politiques qui constituent le terreau du communisme politique. On dirait que Roger a reporté à la fin, gardé pour la bonne bouche, nombre de développements et de réflexions historiques qui auraient pu garnir les premiers chapitres, et étoffer les suivants. Mais la contrepartie de l’austérité initiale est dans le caractère synthétique des deux chapitres ainsi reportés.
Faut-il préciser que ce livre, dont l’auteur est un tout récent “ex” du parti communiste, est écrit avec autant de chaleur que d’objectivité, sans complaisance aucune, qu’elle soit du côté de la critique ou du côté de l’apologie ?
Quels que soient nos parcours personnels, cette histoire est “notre” histoire. Celle du principal courant du communisme en France, celle qui a marqué les luttes émancipatrices dans ce pays. De ses succès comme de ses échecs, nous avons à apprendre. En contribuant à la fois à éviter l’oubli d’une tradition qui ne constitue pas un folklore, mais un élément vivant de la politique contemporaine, et l’appropriation exclusive de cette histoire par les courants historiographiques qui ne voient dans le communisme qu’une monstruosité, ce livre est assurément utile. On en attend d’autres !!

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