Conserver, c’est liquider

Conserver, c’est liquider
Écrit par Roger Martelli
06-11-2008
Roger Martelli nous a fait parvenir sa dernière contribution, postée sur le site du 34e congrès du PCF. Le titre de cette page est de lui.

Le congrès de décembre du PCF se devait d’être extraordinaire ; le plus vraisemblable est qu’il ne le sera pas. Il devrait tirer le communisme politique vers un avenir assumé ; ce qui s’annonce est l’enfermement dans un passé indéterminé. Mal engagé et désastreusement mené… Dommage ! On pouvait imaginer tout autre chose. 1.

Il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt. Le PCF s’est affaibli et il continue de s’affaiblir. D’élection en élection, nous obtenons moins de voix et nous avons moins d’élus (nous en avons perdu beaucoup depuis trois ans, contrairement aux annonces tapageuses du début de l’année). Nous comptons toujours moins d’adhérents (20 000 cotisants de moins qu’en 2006, si l’on en croit les chiffres validés lors des élections internes). De plus, ceux qui restent sont divisés (un quart des cotisants c’est-à-dire moins d’un sixième des adhérents supposés se sont reconnus dans la « base commune » !). La diversité des communistes pouvait être une richesse, mais il en est d’un parti comme de la société tout entière : quand la diversité n’est pas reconnue officiellement, ce n’est jamais l’unité qui l’emporte, c’est au contraire la division. Au fil des ans, le PCF est ainsi devenu une force marginale, surpassée à sa droite comme à sa gauche, par le PS d’abord, puis par l’extrême gauche. Le problème est que la place politique qui a été hier celle du PCF n’est aujourd’hui occupée par personne. Nous ne sommes plus en état de le faire ; les autres forces peuvent en récupérer une part ; aucune ne peut se l’approprier en totalité. Ce faisant, il manque quelque chose à la gauche et au mouvement populaire.


2. Paradoxalement, cette carence s’observe alors que la situation suppose et rend possibles de vastes dynamiques politiques, au moins aussi fortes que celles dans lesquelles les communistes occupaient autrefois une place centrale. La crise, d’une ampleur sans précédent, appelle à de la radicalité alternative : non pas de l’incantation protestataire, mais des projets de rupture à vocation majoritaire. S’il n’y a pas aujourd’hui de mouvement politique suffisant en faveur d’une rupture franche avec la norme capitaliste dominante, il n’y aura pas de transformation. On ne sortira pas du système actuel et le capitalisme ne se réformera même pas, comme il l’a fait autrefois : il s’adaptera à la marge, ce qui maintiendra son instabilité et ses dangers au niveau actuel.

3. L’alternative n’est pas l’alternance : son horizon n’est pas le capital mais son dépassement ; ce n’est pas du capitalisme aménagé qu’elle doit viser, mais du post-capitalisme. À mes yeux, le seul mot adéquat pour désigner ce « post » est celui de communisme. Le problème est double. Le mot de communisme, hélas, a été souillé par ses perversions ; pour l’instant, il est difficile en termes de masse de le dissocier des expériences de pouvoir qu’il a générées au XXe siècle. Par ailleurs, le communisme n’est pas seulement un mot pour désigner la société qui peut se substituer à celle du capital : il est aussi un mouvement et une tradition politiques. Or la critique pratique du capitalisme déborde aujourd’hui l’espace du seul mouvement communiste : il existe des forces de contestation, plus ou moins globales, qui ne sont pas et ne veulent pas être dans le champ du communisme politique.

Le communisme est une composante du mouvement critique contemporain ; comme mouvement politique particulier, il peut aspirer à être force motrice du mouvement critique d’ensemble ; mais il ne peut être « le » mouvement lui-même. Celui-ci n’est à proprement parler ni communiste, ni socialiste, ni écologiste, ni républicain, ni altermondialiste, ni anticonsumériste : il est la conjonction de tout cela. Il ne peut se passer d’une composante ; il doit les englober toutes ; il ne se résume à aucune d’entre elles.

4. Il fut un temps où, en France, le Parti communiste a été la principale expression d’un courant critique qui, plongeant ses racines dans la grande tradition plébéienne et révolutionnaire, avait vocation à être majoritaire à gauche. Le PCF, force dominante à gauche pendant trois décennies, ne l’est plus depuis trente ans. Il aurait peut-être pu conserver cette place, s’il s’était métamorphosé à temps, comme il lui a été proposé de le faire autrefois. Malheureusement, toute demande de transformation a été longtemps considérée comme un avant-goût de la liquidation. Le résultat est que l’essentiel du patrimoine a été liquidé. Aujourd’hui, ce qui s’appelle le PCF n’est plus en état d’exprimer l’essentiel du courant critique français. Est-ce un bien ou un mal ? C’est un fait.

5. On peut toujours rêver du grand retour du balancier qui redonnera au PCF sa place d’antan. Cela n’adviendra pas : l’histoire ne se recommence jamais ; on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. On peut toujours dire que, en attendant, on essaiera de constituer des fronts entre des forces critiques existantes : c’est mieux que la grande solitude, mais cela ne fait pas politiquement le compte. Dans un système politique qui tend au bipartisme, si l’adaptation dispose d’une grande force politique (le Parti socialiste) et si l’esprit de rupture-dépassement n’en a pas autant, la main reste à la logique de l’adaptation. Le risque est alors de reproduire à l’infini le déséquilibre entre une force d’adaptation ultra-majoritaire et des forces de contestation jouant à la marge. Multiplier les « fronts » ? Nécessaire, mais non suffisant…

6. Je ne vois donc franchement pas comment faire l’économie d’un processus conduisant à l’émergence d’une nouvelle force politique à gauche, occupant le terrain des valeurs fondamentales de la gauche et du mouvement populaire, s’installant dans la tradition révolutionnaire à la française qui fit si longtemps la force du Parti communiste. Les contours potentiels de cette force sont connus : politiquement, allant de l’extrême gauche à la gauche du parti socialiste ; culturellement, agrégeant l’ensemble des sensibilités critiques qui contestent l’ordre établi, des héritages du mouvement ouvrier jusqu’aux aux formes plus récentes de la critique dite improprement « sociétale » ; structurellement, rassemblant à la fois des acteurs partisans, syndicalistes, associatifs. On ne sait pas exactement comment cette force pourrait fonctionner ? Comment pourrait-on le savoir, tant qu’on n’a pas fait, ensemble, le bilan de ce qui s’est fait et l’inventaire de ce que l’on veut ? On n’est pas sûr du résultat ? J’entends parfois des raisonnements du type : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ; « il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre ». Mais que peut-il nous arriver de pire que ce qui nous est arrivé, et de pire que ce qui va nous arriver ?

Vous croyez que les militants socialistes de 1920 ont renoncé de gaîté de cœur au parti auquel ils tenaient comme à la prunelle de leurs yeux ? Vous croyez qu’il leur était facile de choisir un modèle bolchevique les éloignant d’une tradition qui les avait tout de même portés à plus de 20% des voix en 1919 ? Et pourtant, les adhérents socialistes ont majoritairement estimé qu’il valait mieux courir l’aventure du neuf en cré
ant le Parti communiste français. Il m’arrive aujourd’hui de penser que si, en décembre 1920, c’était l’état d’esprit de la prétendue « base commune » qui avait dominé, nous n’aurions jamais eu de Parti communiste français !

7. Voilà plus de vingt ans que je me bats, avec d’autres, pour mettre en garde contre ce qui m’est toujours apparu comme un déclin inéluctable, dès l’instant où l’on tournait le dos à l’exigence de refondation. Aujourd’hui, ce que je redoutais est advenu : nous sommes devenus une force subalterne. La politique est cruelle : il est des seuils au-dessous desquels on est contraint de renoncer à jouer un rôle central. Nous sommes passés au-dessous de ce seuil. La force du PCF a longtemps été de pouvoir marier la radicalité transformatrice du projet fondamental et le réalisme des rapports de forces majoritaires. Mais il a trop longtemps refusé de bouger. Je regrette que ce qui était alors un choix possible – la refondation du parti – n’ait pas été retenu quand il était temps. Le temps est passé et nous ne réussirons pas demain ce que nous n’avons pas su entreprendre hier. De fait, ce qui continue de porter le nom de Parti communiste français n’est plus l’organisation majeure que l’histoire avait propulsée en avant, dans la foulée de l’Octobre russe. La vérité vraie est là : le PCF que nous avons connu n’existe d’ores et déjà plus. « L’autre formation politique aux contours incertains », c’est celle que nous avons entre nos mains et pas celle, à venir, dont j’évoque la nécessité.

Les militants communistes, même affaiblis, restent une force enviable mais, à se penser d’abord dans leur différence avec les autres forces politiques, ils stériliseraient leurs efforts. Ne nous illusionnons pas : nous ne trouverons plus en nous-mêmes les forces pour rebondir. Nous ne les trouverons qu’avec d’autres, en construisant du commun politique avec d’autres. Nous devrons rester communistes : on ne fait pas de commun, quand tout le monde se ressemble. Mais nous serons communistes dans une force qui, je le pense, gardera le meilleur de notre tradition sans pour autant conserver notre enveloppe. Nous serons communistes, assumant ouvertement notre ancrage, sans qu’il soit nécessaire que continue d’exister une organisation politique portant explicitement le nom de « Parti communiste français ». Avant 1920, les communistes ont vécu et agi sans elle ; le moment est venu, comme en 1920, de trouver les façons nouvelles de faire vivre notre parti pris.

8. Même sous les mots aguicheurs de la « métamorphose », conserver c’est liquider. Cette non-histoire, si elle était retenue, ne me motiverait aucunement. Être la mouche du coche ou le porteur d’eau de majorités dominées par la social-démocratie : une fois encore, je ne suis pas devenu communiste pour cela.

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