Communistes unitaires: une contribution de Martelli

reves.jpgRoger Martelli – Contribution à la réunion du 24 mars 2007

Quel que soit le résultat final de la séquence électorale de 2007, nous pouvons être quasi certains que nous entrerons dans une phase tumultueuse de recomposition politique. La crise est trop forte, elle affecte trop le coeur des institutions, elle bouleverse trop la dynamique de la gauche et de la droite pour que l’on puisse longtemps différer la réorganisation de tout le champ politique. Que nous le voulions ou non, c’est cet arrière-plan qui surdétermine notre réflexion particulière : la question du communisme n’est qu’un élément, parmi d’autres, d’une réflexion pratique concernant la gauche tout entière. Nos péripéties actuelles s’inscrivent dans un mouvement infiniment plus long : la gauche n’est pas sortie de la longue phase de crise ouverte, dès la fin des années 1970, par le double essoufflement de la perspective soviétique et de la social-démocratie classique appuyée sur « l’État-providence ». Où en est-on de ce point de vue ? Le communisme n’a pas réussi la subversion historique qui aurait refondé son utilité politique ; le Parti socialiste n’en finit pas d’osciller entre social-démocratie et social-libéralisme ; la gauche d’alternative, stimulée par le regain de combativité sociale amorcé en 1993-1995, a repris du poil de la bête mais n’a pas réussi à trouver l’élan électoral capable de la réinsérer au coeur de la vie politique instituée.

Le communisme n’est pas un préalable

Le communisme dont nous sommes comptables n’est pas un préalable : c’est une donnée historique face à laquelle chacune et chacun est en position de choisir. Ne faisons pas comme si nous découvrions la lune. Nous savons depuis longtemps que le bolchevisme et ses succédanés ont définitivement perdu leur force propulsive, que la logique fondatrice des partis communistes du XXe siècle est irréformable, que si « parti communiste » il peut y avoir, il ne devrait vivre que dans l’enveloppe d’une formation radicalement nouvelle. Mais nous savons aussi que, jusqu’à ce jour, toutes les tentatives de création d’une forme alternative se sont plus ou moins enlisées dans les sables, et cela malgré les qualités intellectuelles et politiques de leurs promoteurs. Nous savons qu’il y a quelque chose d’irrémédiablement obsolète dans le communisme du XXe siècle ; mais nous savons aussi que la réalité du communisme en France ne se réduit pas à un appareil vieillissant et de plus en plus en crise. Elle est en même temps celle d’un actif militant complexe, qui entremêle l’étouffement légitimiste et la réelle capacité à affronter les expériences neuves. Elle est celle d’une histoire humaine, sociale et politique, dont la perte serait un manque à gagner pour l’innovation démocratique.


Le communisme, c’est un certain rapport à l’histoire politique de la révolution, ce fut un vecteur réel de politisation populaire, une tentative originale de raccord du social et du politique, un équilibre de la contestation et de l’implication gestionnaire sur le plan local. Il est vrai que tout cela ne se réduit pas au PC ; que, parfois, la pratique réelle de l’organisation a dramatiquement nié la valeur politique et éthique de ce patrimoine. Ajoutons que cette valeur a toujours été portée par des individus voire des forces collectives en dehors du PCF. Mais, pour l’instant en tout cas, nul n’est parvenu à se substituer, au coeur de la vie politique, à l’espace historiquement occupé par l’organisation communiste elle-même.

Si nous sommes devant un choix, il s’agit d’un choix simple, dont je ne vois pas en quoi il serait utile d’en différer le moment, fût-ce de quelques mois.

1. Ou bien on considère que l’évolution actuelle dévalorise jusqu’à les invalider toutes les distinctions qui séparent les sensibilités actuelles de l’espace « antilibéral » (je reviendrai plus loin sur ce point). Auquel cas, on peut estimer qu’il n’y a rien de plus stratégique que ceci : dans cette recomposition générale et sur la base d’un métissage assumé des histoires particulières, il convient de créer les fondements d’un projet, d’une culture et d’une organisation de toutes celles et ceux qui refusent l’ordre libéral-capitaliste-bourgeois existant. Dans une telle perspective, la constitution d’une structure, même souple, des « communistes unitaires » pourrait apparaître, au mieux comme inutile, au pire comme un frein à l’émergence d’un espace neuf, résolument « transcourants ».

2. Ou bien on considère que les distinctions internes de l’espace critique sont une chance, dès l’instant où la spécificité ne se fige pas en différence, où la distinction ne devient pas séparation mais base de la mise en commun. Auquel cas, on peut estimer que la constitution d’un communisme refondé et l’avancée vers une convergence durable de « l’antilibéralisme » sont deux faces distinctes mais indissociables de la restructuration de tout le champ politique.

Des signes, sans attendre

Pourquoi, à mon avis, n’est-il pas pertinent d’attendre pour donner les signes que l’on veut aller dans cette deuxième direction ? Parce que le choix entre les deux hypothèses susdites ne relève pas d’un « préalable ». Considérons par exemple la dynamique du mouvement « antilibéral ». Que l’on se soit fixé sur le paradigme de « l’antilibéralisme » n’était pas sans poser des problèmes et des critiques très pertinentes ont pu être énoncées à l’encontre du terme. Peut-être même le jour viendra-t-il où s’imposera un autre mot, plus juste, plus attractif, plus positif (ce n’est jamais très bon de se désigner d’abord comme « anti »). Mais il n’aurait servi à rien de se mettre autour d’une table, éventuellement pendant de longs mois, pour décider au p
réalable s’il fallait se définir comme antilibéral ou choisir un autre vocable. Le plus important était d’engager sans tarder la pratique qui consistait à poser en même temps, pour créer de la dynamique politique, les questions du projet, des formes d’agrégation et des échéances électorales.

Il en est de même du communisme. Ce n’est pas d’abord une théorie mais un mouvement historique constitutif de la critique contemporaine de l’ordre marchand mondialisé. Ou bien ce mouvement est capable de contribuer utilement au retissage des grandes perspectives alternatives, ou bien il est voué inéluctablement à l’étouffement. Le PCF actuel peut-il aider à ce retissage ? Non, dès l’instant où il s’avère incapable de pousser jusqu’au bout la novation structurelle sans laquelle sa fonction politique est en panne. Mais aucune dynamique collective ne s’attache à ce que se produise du communisme, à la fois en continuité et en rupture, ce communisme-là n’existera tout simplement pas dans le champ politique. On peut certes se dire que ce ne serait pas la fin de l’histoire et que quelque chose, d’une manière ou d’une autre finirait par assumer les fonctions qui furent historiquement celles du parti communiste. Mais on peut aussi se dire que le défaut de renouvellement rapide laisserait à court terme un vide préjudiciable au mouvement critique tout entier : la structure communiste s’affaiblit et se délite, sans que nul, parti, force ou courant, s’avère en état d’occuper aujourd’hui la place ainsi dégagée.

S’il est pour nous une responsabilité, elle me semble claire. Il est crucial que se créent, dès maintenant, les conditions d’un engagement collectif organisé, capable d’affronter en même temps les deux défis du moment présent : la constitution effective d’un espace élargi d’alternative politique et l’émergence d’un communisme de nouvelle génération.

Je comprends que certain-es, devant la pauvreté de ce que leur paraissent apporter les structures communistes existantes, se disent qu’ils n’ont pas besoin de structure particulière, qu’à la limite elles ou ils peuvent être des individus communistes dans des structures qui ne le sont pas. Le problème est qu’aucune culture ne vit si elle ne s’appuie pas sur des formes collectives qui la soutiennent et, si possible, qui la stimulent. Or l’antilibéralisme contemporain n’est pas grand-chose s’il ne repose pas sur la pluralité de ses composantes. Cultiver la différence au nom de la complexité du réel peut conduire à l’ignorance réciproque ; ignorer les spécificités, au nom de la nécessité du commun, conduit à la frilosité celles et ceux qui ont l’impression qu’ils sont privés de leur identification. Le communisme politique séparé du mouvement critique dans son ensemble est une impasse ; l’antilibéralisme hors de la synergie des forces qui le nourrissent est une abstraction.

Identité : ni trop, ni trop peu

Il ne faut surtout pas tarder à engager le travail collectif visant à fonder une contribution communiste à un espace antilibéral dont nous savons bien que ses déboires actuels nécessiteront un vrai travail de « refondation ». Écartons donc les définitions trop restrictives de ce que nous sommes ou de ce que nous voulons être. Mais prenons garde de ne pas avoir de nous-mêmes une définition tellement floue que l’on finirait par se demander si notre objectif n’est pas, soit de constituer par nous-mêmes le lieu de mise en cohérence de tout l’espace antilibéral, soit de constituer ce qui pourrait en être le noyau agissant. De ce point de vue, sans tomber dans l’autodéfinition dogmatique, essayons au départ de ne pas formuler des éléments trop peu identifiants. On ne peut pas dire en même temps que nous sommes une composante du rassemblement nécessaire et ne retenir de nous-mêmes que ce que nous avons de commun avec tous les autres.

Ne suffisent pas à nous identifier notre désir de participer à la convergence antilibérale ou notre attention scrupuleuse aux formes démocratiques, nourries par notre expérience interne des mécanismes et des effets du stalinisme. Ne nous identifie pas pleinement non plus notre parti pris critique du communisme du XXe siècle : cette critique est bien antérieure à notre existence et déborde plus que largement nos rangs. Pour l’instant, ce qui nous identifie c’est de suivre ces pistes communes à tout le mouvement critique contemporain à partir d’une histoire et d’une sensibilité rattachées explicitement au communisme politique. Ce qui nous identifie est le désir, toujours enraciné dans une histoire, de raccorder le champ politique, y compris institutionnel, avec les expériences dites naguère « de classe », c’est-à-dire avec le tissu formidable d’une vie populaire encore et toujours politiquement marginalisée. Communistes, nous participons à toutes les dimensions des combats « antisystème » – ledit système entremêlant bien sûr inextricablement l’exploitation, la domination, l’aliénation. Mais nous le faisons de façon communiste : nous avons pris depuis longtemps l’habitude de considérer que font partie d’une même perspective stratégique la refondation du communisme, le rassemblement de la frange de gauche la plus critique et la redéfinition des équilibres généraux de la gauche tout entière, dans un retissage de ses liens au mouvement populaire.

Voilà ce qui, dans le champ du communisme « officiel » comme dans le champ de l’alternative, me paraît avoir fondé en longue durée une originalité des communistes critiques. L’ancrage dans une histoire n’a bien sûr pas que des avantages et il serait absurde d’ignorer le poids symbolique de ce qui, au XXe siècle, se fit au nom du communisme. Au fond, ce qui vaut pour « l’antilibéralisme » vaut pour le « communisme » : un jour, peut-être, un autre mot sera mieux à même de dire de façon moderne notre visée et nos ambitions politiques. Quel qu’ait pu être le siècle précédent, le mot actuel me plaît, car je ne vois pas d’appellation aussi simple et aussi forte pour désigner l’exigence de la mise en commun et du partage qui est au coeur de nos sociétés modernes. Pourtant, s’il le fallait vraiment j’avalerais ma fierté et j’accepterais que qui me plaît à moi ne soit pas, au final, retenu par l’histoire. Mais je suis convaincu qu’un tel changement de mot ne relèverait pas d’une décision à court terme, même prise avec les plus grandes garanties démocratiques. Nous n’aurons pas, à l’automne prochain, réglé entre nous cette question fondame
ntale. Et quand bien même nous le déciderions à l’emporte-pièce, ne nous leurrons pas : nous resterions, aux yeux de tous, des « ex-communistes »…

Pour une longue période, mieux vaut s’en tenir à l’hypothèse que le « communisme » peut constituer notre identification la plus large et que, malgré le XXe siècle, nous voulons dire par là que nous assumons l’ancrage dans une histoire très longue, ne commençant pas en 1917 et ne finissant pas en 1991. Par là, « communistes » nous pouvons être. Et j’ajoute que, dans le moment présent, c’est l’adjectif « unitaires » qui, au yeux de toutes les forces attachées à la convergence antilibérale, dit sans la moindre ambigüité que nous ne séparons pas notre identification propre et notre combat pour le rassemblement le plus large de toutes les sensibilités critiques, de tout ce qui contredit la norme unique du marchand.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’estime qu’il faut de façon visible donner immédiatement le signe que les « communistes unitaires » ont décidé de participer en tant que tels au vaste mouvement de recomposition que la séquence électorale va stimuler.

Une association, tout de suite

Je sais que nous nous garderons des structures trop figées, dangereuses et inutiles. Je sais que nous le ferons sans angélisme : aucune structure, à ce jour, n’est parvenue à contredire durablement les mécanismes délétères de la confiscation du pouvoir. Comment s’en étonner ? Tant que ne se déploie pas en pratique, dans le champ politique, l’activité qui permet à chaque individu de bâtir lui-même sa propre émancipation, il y a nécessairement du pouvoir confisqué. Les formes du pouvoir, d’ailleurs, sont étonnamment multiples : les formes brutales que nous connaissons si bien, mais d’autres aussi, plus feutrées mais ne relevant pas moins de la catégorie du « pouvoir ». En matière d’organisation, j’avoue ne guère croire aux grandes envolées sur la stigmatisation du pouvoir en général. L’essentiel est de multiplier les procédures de débat, de transparence, de contrôle, d’autonomie de réflexion et d’action, voire les bribes de contre-pouvoir (mais les contre-pouvoirs, par définition, résistent mal à l’institutionnalisation, voyez les soviets…). Là encore, il n’y a pas de solution en préalable : tout est affaire de pratique, de créativité de fait.

Quand on est dans le registre de l’action, Il y a toujours des risques à choisir. Dans cette phase d’incertitude maximale, le risque le plus grand serait à mes yeux que nous ne donnions pas immédiatement des signes clairs. Le signe que la « vérité » du communisme n’est pas dans le processus catastrophique qui, en conduisant à une candidature communiste séparée, a contribué à l’impasse du mouvement antilibéral tout entier. Le signe que le communisme peut ne pas être une butte témoin mais un parti pris actif, enraciné dans une histoire, de subversion populaire et démocratique de l’ordre social existant. Le signe que nous voulons faire vivre ce parti pris, quel que soit l’engagement concret de celles et ceux qui ont envie de s’agréger à l’aventure des « communistes unitaires », quel que soit le devenir de la structure « Parti communiste français ». Le signe que nous ne séparons pas ce parti pris identifiant d’une autre ambition : structurer durablement un espace le plus large possible, à l’image de ce qui a dynamisé en 2005 du « Non » mais sans se limiter à ses expressions politiques. Enfin, le signe que, par cette convergence, nous entendons contribuer à refonder dans ses équilibres la gauche politique, à raccorder la critique sociale au champ politique et, ce faisant, à bâtir de façon pluraliste et démocratique la succession historique de ce qui fut autrefois le « mouvement ouvrier ».

Le risque le plus grand est que ce signe-là ne soit pas donné. Le plus important est donc de nous constituer en association. Minimale, sans doute ; modeste, par principe. Mais capable de faire entendre dès maintenant notre voix à l’extérieur, dans sa pluralité et dans son unité ; capable aussi d’engager les chantiers que nous jugerons nécessaire de conduire ensemble, quelle que soit par ailleurs notre sensibilité par rapport aux mots (par exemple celui de communisme) et par rapport aux structures (par exemple celle du Parti communiste français).

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