Intervention de Marie-George Buffet sur le droit de vote des résidents étrangers

Marie-George Buffet Secrétaire Nationale du PCF

Initiative pour le droit de vote des résidents étrangers

Malakoff – 29 avril 2005

 

 

Mesdames, Messieurs, Chers amis, chers camarades,

 

Je voudrais tout d’abord remercier mon amie Catherine Margaté et l’équipe municipale de Malakoff de nous accueillir aujourd’hui pour cette belle initiative. Se retrouver ici aujourd’hui avec nos amis de Votation citoyenne est lourd de sens. Voici seulement  60 ans, les femmes votaient pour la première fois en France. Voici 80 ans, 20 longues années auparavant, à l’initiative du Parti communiste, dix femmes étaient élues pour la première fois à des fonctions municipales, conservant leurs fonctions jusqu’à l’invalidation de leur élection. Ici-même, à Malakoff, ce fut le cas.

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C’est depuis cet événement-là que je veux vous parler aujourd’hui. Il faut se rendre compte du courage de celles et ceux qui produirent ce geste fort, il faut réaliser la profondeur de leurs convictions de justice et de respect de la dignité humaine. Il nous paraît évidemment aujourd’hui naturel que les femmes aient le droit de vote, mais alors, ce n’était pas le cas. S’imposait une violence, une domination masculine implacable, ancrées dans les mentalités. Les femmes étaient considérées comme des individus de seconde zone, des mineures éternelles. Il fallait les laisser les hommes s’occuper des choses sérieuses.

C’est aujourd’hui le même regard que porte notre société sur des hommes et des femmes venus d’ailleurs, qui travaillent dans notre pays, qui vivent avec nous et sont de notre peuple. C’est aujourd’hui le même regard que l’on porte sur les résidents étrangers. C’est aujourd’hui le même mépris qui frappe ces hommes et ces femmes.

Je ressens cette souffrance à la manière dont je ressens celle des femmes privées du droit élémentaire de donner leur avis jusqu’à la libération.

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Je me rappelle d’un débat organisé lorsque j’étais ministre, au sein du Conseil National de la Jeunesse. Tout au long de nos cheminements, la question du droit de vote des résidents étrangers a été posée. Ce jour-là, un jeune est intervenu pour expliquer que tant que son père ne serait pas reconnu par cette société, il ne se sentirait pas reconnu lui-même. Et le Premier ministre lui a immédiatement opposé que l’opinion publique n’était pas prête. Il y a des instants qui résument ainsi des drames. Tous les communistes, tous les militants politiques qui font campagne dans les quartiers populaires ont été interpellés par des immigrés, par leurs enfants, nos enfants, les enfants français de nos frères étrangers. Ces jeunes compatriotes nous disent : « vous voulez que nous votions, nous qui arrivons dans la vie, et nos parents qui ont construit nos cités de leurs mains, ils n’auraient pas leur mot à dire ? » Leurs parents ? Ils sont parfois nos camarades dans l’action syndicale, dans la vie associative, ils sont nos amis dans la vie, ils sont parfois les grands-mères et les grands-pères de nos petits enfants. Nous formons la même société.

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Aujourd’hui, je voudrais vous dire que le Parti communiste a décidé de franchir une nouvelle étape dans la lutte pour le droit de vote des résidents étrangers. Nous avons pris le temps d’avoir des échanges conséquents sur la situation actuelle, sur les aspirations des hommes et des femmes, sur l’état de nos propres propositions, et de notre action. Nous pensons profondément que le droit de vote et celui de se présenter devant le suffrage populaire doivent aujourd’hui s’étendre à tous ceux qui font la France, l’Europe, et constituent son peuple, donc aux résidents étrangers. Cette citoyenneté de résidence, nous la considérons dans toute son ampleur, pour toutes les élections.

Ce choix est proposé dans les forums que le PCF propose et co-organise avec ceux et celles qui le souhaitent, afin de construire une alternative de progrès social et démocratique. Il est inscrit dans les 27 objectifs programmatiques que nous proposons au débat. Il est en cohérence avec l’affirmation des droits des migrants, la reconnaissance de leur apport indéniable à la vie collective. Il est un choix d’égalité de droit, une volonté d’agir contre toutes les discriminations. Nous pensons qu’il est une référence pour comprendre la société que souhaitent les communistes.

L’action en faveur de la citoyenneté de résidence s’inscrit dans ce mouvement qui de génération en génération, de luttes en luttes, étend le suffrage universel, écarte les préjugés pour faire reconnaître dans toute sa force la souveraineté du peuple. Nous voulons une société de démocratie, d’hommes et de femmes libres, égaux et associés. Nous voulons une société ou l’intérêt général défini en commun se dresse face à la mondialisation capitaliste.

Bi
en sûr que si nous votions tous, nos quartiers populaires seraient mieux représentés. Bien sûr que si toutes les mères, tous les pères de notre jeunesse étaient reconnus comme citoyens, la démocratie s’en trouverait améliorée. Bien sûr que si leur dignité était reconnue pleinement, le monde serait plus juste et nos vies plus heureuses.

Des sondages d’opinion montrent que ces vérités font leur chemin. La majorité des Français trouvent aujourd’hui normal que tous participent aux élections locales. C’est un point d’appui.

Nous ne devons plus nous laisser impressionner par le capitalisme qui nous divise, ni par la droite ou l’extrême-droite qui tentent de nous dérouter en nous faisant croire que notre peuple serait ataviquement raciste.

Regardez combien le capitalisme sait se jouer de ces divisions. Il amasse ses richesses sur tous les continents. Il exploite le travail sans considération de couleur, de territoire ni de frontière. Il veut inscrire dans la constitution de notre Europe la « concurrence libre et non faussée ». Mais nous, le peuple, il faudrait que nous gardions dans nos têtes les vieilles divisions, et surtout, surtout que nous ne partagions pas ensemble les mêmes droits démocratiques ? Ils sont malins. Nous devons être solidaires.

Nos démocraties sont aujourd’hui organisées dans un cadre national. Les communistes y sont attentifs, parce que le pouvoir dictatorial des conseils d’administration se félicite de chaque défaite du peuple souverain. Mais nous vivons déjà dans un espace-monde. C’est désormais l’échelle où se situent les enjeux du devenir de l’humanité.

Pour autant, ce qui nous unit n’est pas l’uniformité, c’est l’objectif de vivre ensemble, de vivre égaux, de résister à la division du travail, aux hiérarchies, au chacun-pour-soi. Contre les exclusions, contre les divisions, inclusion citoyenne et respect de chacun ! C’est cela que j’appelle laïcité.

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Regardons notre Europe. Nous voyons les avancées révolutionnaires qu’elle nous permet d’envisager. Et nous voyons en même temps, la minable petitesse de ce que nous propose la Constitution-Giscard. Notre Union européenne pourrait devenir un laboratoire de la nouvelle citoyenneté mondiale. Oui, qu’une espagnole, qu’un allemand puissent voter chez nous parce qu’ils construisent avec nous notre société commune, c’est une avancée. Mais pourquoi devrait-on limiter notre concitoyenneté aux élections municipales. Et pourquoi exclure ceux qui ne sont pas nés en Europe et qui pourtant font l’Europe ? Une fois de plus on nous propose de construire l’Europe contre le reste du monde.

15 à 20 millions de personnes sont classés comme « étrangers non communautaires ». Il est temps que l’Europe soit reconnaissante de ce qu’elle doit au reste du monde. Hélas, la Constitution multiplie les discriminations à leur encontre, elle rabote le droit d’asile, elle ferme ses frontières, elle ouvre au capital l’exploitation sans frein de notre travail.

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La citoyenneté de résidence est une idée qui monte, en France et en Europe. Elle est défendue avec opiniâtreté par des acteurs des luttes altermondialistes, des militants associatifs, et je les remercie de nous avoir aidé à prendre la mesure de cette question. Avec eux, nous allons participer à porter des projets de votation citoyenne et de citoyenneté européenne de résidence. Des temps forts sont prévus à partir du mois d’octobre. Des mouvements se développent en Italie, en Espagne. Au Parlement européen, nous travaillons à une initiative intergroupe.

L’histoire l’a prouvé, la transformation sociale ne s’accommode pas des murs qu’on construit pour séparer les humains. La démocratie non plus. Faire reculer l’abstention, rendre sa fiabilité à l’action politique, cela nécessite de revaloriser la citoyenneté dans toutes ses dimensions, d’articuler démocratie participative et démocratie représentative, mais une démocratie représentative qui représente vraiment les citoyens, dans leur diversité, avec des pouvoirs d’interventions et de contrôles réels. La bataille pour la citoyenneté de résidence est une des voies pour changer la politique.

Il y a aussi un fait d’importance majeure : ceux d’entre nous qui sont privés du droit de vote parce qu’ils n’ont pas les bons papiers viennent souvent d’anciennes colonies, c’est à dire de pays naguère sous souveraineté française où la République des citoyens avait réintroduit, au détriment des peuples conquis, le statut de sujets, pourtant aboli par la Révolution. Le poids de la colonisation et de la traite négrière travaille encore notre peuple. Nos sœurs et nos frères étrangers. Leurs enfants et leurs petits enfants français. Notre jeunesse. Nous tous.

Contre tous ceux qui opposent les mémoires et hiérarchisent les souffrances, nous affirmons la nécessité de réparer et de dépasser ces blessures qui abîment toute la société.

En affirmant ces choix, nous pensons continuer les objectifs portés par la Révolution Française, la Commune, la Résistance. Mais pas seulement. Nous nous reconnaissons aussi comme ancêtres et comme inspirateurs Toussaint Louverture et Ho Chi Minh, Abd el Kader et Rosa Luxembourg. Avec la puissance de l’Etat, si nos concitoyens nous y portent, ailleurs chaque fois que c’est possible, nous allons combattre la racialisation imposée depuis des siècles par les nationalismes, la colonisation, l’antisémitisme, l’utilisation capitaliste de la main d’œuvre immigrée et toutes les idéologies qui les ont a
ccompagnées.

Le pouvoir actuel est à l’origine de provocations qui alimentent délibérément les divisions, les haines et le racisme. Quelques exemples récents : le vote de la scandaleuse loi du 23 février obligeant l’école à présenter le colonialisme comme un bienfait, le pré rapport parlementaire Bénisti qui rend les familles immigrées responsables de l’échec scolaire de leurs enfants, parce qu’à la maison on parlerait le « patois » du pays, ou Raffarin qui retire le droit de vote aux artisans étrangers pour les chambres consulaires.

Le droit de vote pour les résidents étrangers n’éteint pas à lui seul les questions brûlantes sur lesquelles il est urgent que les communistes interviennent et bousculent idéologies et politiques de droite. Mais l’option qu’ils prennent aujourd’hui répond concrètement aux enjeux de la mondialisation capitaliste. Elle refuse l’enfermement dans une conception de la nation qui oppose les peuples aux peuples, qui dresse le peuple contre lui-même. L’action pour le droit de vote des résidents étrangers s’inscrit pleinement dans la campagne communiste « Faisons tomber les murs », une campagne «  contre tous les actes, toutes les politiques, toutes les pratiques qui font naître les violences et la guerre, les dominations et les humiliations, les injustices et le mépris, les discriminations, la séparation et la haine.»

Notre action pour l’extension du droit de vote nécessite une argumentation particulière, des initiatives spécifiques. Elle s’ajoute à ce que nous développons sur toutes les questions liées à la citoyenneté de résidence, à la lutte contre les discriminations, à l’action contre la persistance des représentations issues du colonialisme et contre tous les racismes.

Nous avons décidé de lui donner des prolongements, cet été et lors de la fête de l’Humanité. Nous lançons un forum programme sur le sujet. Nous envisageons des initiatives associant les résidents étrangers à des votes populaires. Nous préparons des propositions législatives. Mais le fond de l’affaire se jouera dans la société. C’est-à-dire en convergence avec d’autres que nous. Et cela a déjà commencé.

Je vous remercie.

 

 

 

 

 

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