Intro de Roger Martelli à la réunion d’EGC le 14 mais 2003 à St Denis

Roger Martelli:
Notre réunion se tient au lendemain de la spectaculaire journée de manifestation du 13 mai. Dans quelle situation nous trouvons-nous ? D’un côté, nous avons une droite bien dans ses bottes, engagée dans la plus forte recomposition libérale de toute l’après-guerre ; de l’autre côté, un mouvement social exceptionnel, qui se déploie autour de grands enjeux de société. Ce mouvement va-t-il se développer ? Nous pouvons en faire le pari, et pas seulement France. Mais demeure un problème majeur : la déconnexion persistante du social du politique. Le mouvement appelle à la construction d’alternative politique ; or ce qui domine, c’est l’alternance et la bipolarisation.Introduction à la réunion du 14 mai 2003 (Saint-Denis)

 

 

Face à cela, la gauche a du mal à choisir : c’est vrai du parti socialiste, qui continue d’hésiter entre social-démocratie et social-libéralisme, au grand avantage de ce dernier à l’échelle européenne ; les Verts ont plutôt penché à gauche, mais hésitent toujours sur leurs alliances électorales ; quant à l’extrême gauche, elle semble prête à se contenter (faute de mieux ?) d’une médiocre alliance entre la LCR et Lutte ouvrière. Je parlerai plus tard du PCF.
Si cette situation persiste, si la bipolarisation et l’émiettement partisan sont les seuls choix possibles, le risque est grand d’une démobilisation populaire accentuée et d’une crise politique aggravée.. Il est donc nécessaire de tout faire pour que le courant antilibéral prenne force politique : qu’il puisse porter du projet face aux choix libéraux ; qu’il converge explicitement, y compris électoralement, à toutes les élections – j’insiste sur le « toutes » – et cela dès 2004. Que faire pour que s’articulent de nouveau l’action sociale et les perspectives institutionnelles ? Que faire pour que la convergence se réalise, sans consensus mou mais sans accepter la fatalité de l’éparpillement ? Nous aurons à discuter de cela, au-delà du cas du PCF.
Mais le PCF n’échappe pas à la tonalité générale : il reste profondément incertain dans ses choix. Il vient de tenir Congrès ; je ne porterai pas sur lui un regard univoque, ni positif ni négatif ; ce qui me frappe plutôt, c’est l’extrême ambiguïté de son positionnement explicite.
Considérons par exemple la question de la stratégie. D’un côté, le congrès a réaffirmé la conviction que le parti communiste seul ne peut rien ; dans le même ordre d’idée, il a affirmé de façon récurrente la nécessité d’une convergence antilibérale. Mais en même temps, il a maintenu jusqu’à son terme, malgré nos insistances, une prudence extrême sur les conséquences à tirer de cette position. Le PCF s’en tiendra-t-il à un jeu d’alliances à la carte, avec ou sans le PS ? Sans doute la solution tente-t-elle de nombreux cadres, qui cherchent à conserver un maximum d’élus. Mais les risques d’une telle attitude sont évidents. Le noyau dirigeant a-t-il donc tranché ? Je ne le crois pas… Qu’est-ce qui l’emportera, au total, des ambiguïtés dangereuses ou des ouvertures possibles ? C’est l’avenir qui le dira.
Considérons encore la question du parti lui-même. D’un côté, les militants et le congrès ont refusé tout processus constituant du type « états généraux du communisme », la part de ceux qui ont porté cette exigence a été minorée dans les directions et ils ont été écartés de l’exécutif. Mais de l’autre côté, a été tout aussi vigoureusement affirmée la nécessité d’un dialogue « sur un pied d’égalité » (je cite les termes mêmes du congrès) pour aller vers une organisation qui soit véritablement celle de tous les communistes. Le congrès a donc manifesté pour le moins des crispations et des hésitations ; mais toutes les ^portes n’ont pas été complètement fermées.
Où en est-on ?
1. Nous sommes devant un parti communiste qui a connu quelques années de « mutation ». Cette mutation a été ambiguë dans ses fondements et mal conduite dans sa forme ; elle a aujourd’hui échoué. De là découlent de violents traumatismes : dans le champ du communisme, quand une tentative de novation échoue, ce n’est pas l’esprit de changement qui prévaut. Qu’il n’y ait pas eu de retour en arrière dans ces conditions n’est pas sans intérêt. Mais ni sur le projet, ni sur la stratégie ni sur l’organisation le congrès n’est allé aussi loin qu’il devait le faire. Les évolutions nécessaires fondamentales sont donc encore devant nous. Transformation franche ou immobilisme ? Que le Congrès n’ait pas tranché clairement est inquiétant ; mais cette hésitation, qui n’est pas propre au seul PCF, n’est pas non plus une surprise absolue.
2. Nous sommes encore devant une direction fragile, qui s’est peu battue, qui s’est faiblement engagée dans les débats de fond. Une direction qui a conservé sa majorité, mais qui a été bousculée, et qui a vu sa légitimité affaiblie. De ce point de vue, on notera que 40 % des membres du nouveau Conseil national se sont prononcés négativement où se sont abstenus au moment de la désignation de l’exécutif. Cette fragilité des directions est à bien des égards inquiétante ; elle est aussi, d’une certaine façon, la garantie d’une situation qui restera ouverte.
Nous sommes donc, encore et toujours, placés devant le vieux dilemme. Pour une part, le congrès a confirmé l’épuisement de la « forme parti » du XXe siècle et la difficulté des appareils à se réformer. Doit-on dès lors en conclure que ce qui se passe dans le PC n’a désormais plus aucun intérêt ? Certains le pensent peu ou prou, considérant que la situation est définitivement fermée, et qu’il ne vaut plus la peine de s’épuiser à faire changer une structure définitivement morte. Je ne suis pas dans cet état d’esprit. J’ai plutôt l’impression que nous avons montré notre capacité à faire bouger les lignes et, en tout état de cause, la tétanisation prolongée du corps vivant que constituent les militants du parti communiste français pèserait sur la totalité du champ politique et pas seulement sur le champ du communisme. J’estime donc qu’il n’est pas inutile de chercher à faire bouger encore ce corps militant, à déplacer un peu plus les frontières, a conforter les dynamiques de changement contre toutes les tendances à l’immobilisme et à la conservation.
Je continue ainsi de plaider pour la validité politique du triptyque : rassemblement de la gauche autour d’une perspective de transformation sociale ; convergence électorale des forces d’alternative ; affirmation d’un pôle communiste organisé, rompant avec la matrice bolchevique du XXe siècle.
Je sais que la crise politique prolongée nourrit l’idée que le communisme a fait son temps, qu’il est épuisé par les tragédies du XXe siècle, que le moment est venu de rassembler tout l’espace de la radicalité dans une formation unique. Cette idée à sa rationalité ; elle ne me choque pas ; mais je la crois inopérante, tout aussi abstraite, par certains aspects, que le parti de toute la gauche prôné par les socialistes.
Je tiens pour plus pertinente la perspective d’un courant communiste, autonome, qui s’organise politiquement, ce qui suppose qu’il se structure en formation politique. Qu’il se structure donc en parti, même s’il commence à dépasser les défauts de la « forme parti » héritée du XIXe siècle. Un parti : une organisation qui ne peut plus prétendre au monopole de l’expression politique – celle-ci se partage avec le mouvement social – mais qui exerce de façon prioritaire des fonctions politiques, qui a pour objectif d’établir un lien construit entre dynamique sociale et institutions politiques. Un parti – appelons un chat un
chat : à quoi bon s’encombrer de ces hypothétiques « mouvements » qui se veulent en rupture avec les partis historiques et qui en reproduisent bien vite les défauts les plus criants ? – mais qui pense différemment son rapport à la société, au mouvement social, à la politique.
À mes yeux, il faut donc toujours affirmer la nécessité d’un communisme et d’un parti communiste. Mais il est impossible de les penser dans les formes du siècle précédent. Celles et ceux qui veulent continuer doivent sans ambiguïté choisir la rupture avec les formes anciennes. Dès lors que cette rupture de forme est nécessaire, il faut bien l’organiser : nous devons ainsi, me semble-t-il, continuer inlassablement à prôner quelque chose qui, d’une façon ou d’une autre, prendra la forme d’un processus collectif constituant. Le problème est que ce processus constituant a été refusé explicitement par le congrès du PC ; et il semble bien que la LCR n’en veuille pas plus.
Que faisons-nous donc ? Engageons-nous tout de même le processus à nous seuls ? Il n’est pas sûr que nous réussirons alors agréger suffisamment de forces ; par ailleurs nous pourrions alors ne constituer qu’une organisation communiste à côté d’autres ; mais dans ce cas, nous ne ferions rien d’autre que parcelliser un peu plus l’espace communiste, alors que notre identité, à mes yeux, est avant tout rattachée à l’exigence de sa recomposition.
Comment s’en sortir ? En continuant d’affirmer la double exigence de la novation radicale et du rassemblement de tous les communistes. Je dis bien « de tous les communistes ». L’espace communiste est aujourd’hui éclaté, plus que jamais. Nous-mêmes sommes d’une diversité extraordinaire, redoutable, comme le montre la difficulté à élaborer le moindre texte. Ne cachons pas les contradictions, « nos » contradictions ; n’oublions pas qu’il y a beaucoup de cadavres dans les placards, même dans « nos » placards. L’histoire du communisme est telle que les dissidents d’aujourd’hui ont souvent plus ou moins contribué à la mise à l’écart des dissidents d’hier.. Il faut pourtant faire le pari optimiste : la pratique communiste moderne créera les conditions d’une agrégation de tous les communistes. À condition que l’esprit de rencontre l’emporte en pratique sur l’esprit de différence et donc d’exclusion de fait. Nous ne devons pas vouloir être un groupe parmi d’autres, une chapelle parmi d’autres ; nous devons bien plutôt aspirer à être de ceux qui ont ambitionnent les conditions d’un rassemblement le plus large possible, ce qui suppose tout à la fois l’esprit de tolérance et le refus du consensus plat.
Où mener cette action ? Partout où des communistes se rassemblent et s’organisent. Parmi ces lieux, il y a les États généraux du communisme : ils ont rassemblé depuis un an ; ils ont décidé de continuer leur route et il est bien qu’il en soit ainsi : ils sont un pont possible entre les communistes dispersés et il faut certainement veiller à ce qu’ils gardent cette fonction de passerelle.
Et il y a le PCF, force à la fois obsolète, rebelle au mouvement, et pourtant incontournable. Ce parti n’est plus le seul lieu communiste ; il l’est même de moins en moins, compte tenu de son affaiblissement militant. Mais il reste la principale force communiste organisée et aucune force n’est parvenue jusqu’à ce jour à assumer les fonctions qui étaient les siennes dans la société. Faut-il donc continuer à agir dans le parti communiste français ? Je pense bien évidemment que oui, mais en sachant que celui qui s’y engage court deux risques possibles.
1. Il peut s’engluer dans un ensemble indistinct, au nom de la règle majoritaire, au prétexte qu’il faut rechercher le consensus le plus large. Dans ce cas, les idées novatrices s’émoussent et le mouvement réformateur s’essouffle dans un magma informe. À terme, cela conduit à l’immobilisme et à l’échec.
2. Mais la logique de la différence n’est pas sans risques. La différence est à bien des égards le meilleur gage d’une lisibilité maximale. Mais si elle se construit aux dépens de la capacité d’influence, de la capacité de faire bouger les frontières, de faire progresser les consciences, elle permet d’être autonome, mais au risque de produire de la séparation, de la mise à l’écart est, au bout du compte, de l’inefficacité. La tentation de la différence est grande dans la culture communiste : n’a-t-on pas cru, souvent, qu’il suffisait de faire la différence avec le parti socialiste pour regagner de l’influence ? Or l’expérience a montré qu’il n’en était rien ; je crains qu’il n’en soit de même quand il s’agit de penser l’action à l’intérieur de l’espace communiste.
Je préfère aujourd’hui une différence à fonction rassembleuse. Une différence qui dise toujours deux choses en même temps :
– qu’il est dommageable que les communistes n’aient pas fait le choix de la rupture franche avec la forme communiste du XXe siècle, qu’il n’aient pas osé dire avec plus de netteté qu’il faut passer d’une forme communiste à une autre forme communiste ;
– mais qu’il faut continuer d’agir pour une telle rupture, à l’intérieur de l’organisation communiste, pour ne pas laisser en déshérence ce collectif communiste sans lequel l’avenir communiste est impensable.
Nous nous sommes battus pour du mouvement. Il n’a pas été aussi loin que nous le souhaitions ? Sans doute. Mais la tentation du repliement ne l’a pas emporté, même si les sensibilités internes sont à vif. Nous avons fait bouger les choses et nous saurons les bouger encore : l’histoire ne s’est pas arrêtée à la fin du congrès et au conseil national qui, après lui, a élu l’exécutif national. À condition de ne jamais oublier que cette bataille du mouvement se mène à l’intérieur et à l’extérieur, dans tout l’espace communiste, au sens le plus large du terme. À l’intérieur et à l’extérieur : pas exclusivement à l’intérieur, donc ; mais à l’intérieur tout de même, autour d’options claires et toujours avec l’esprit d’ouverture et du rassemblement.
Mais pour agir, il faut se donner les moyens de le faire. Si nous avons péché dans la dernière période, c’est moins par défaut de différence que par défaut de continuité matérielle dans l’expression collective de nos idées. Si nous avons failli en partie, c’est par absence d’un minimum d’organisation.
Pourquoi, dès lors, celles et ceux qui veulent agir à l’intérieur du PCF n’envisageraient-ils pas de se constituer en réseau, en affirmant clairement un objectif qui est d’aller vers une nouvelle formation communiste ? Ce réseau pourrait se structurer autour d’une lettre d’information et d’un site Internet. Il ne serait pas une tendance, au sens classique du terme. Ce n’est pas que la tendance fonctionne pour moi comme un repoussoir absolu : je pense au contraire que la peur des tendances est aujourd’hui plus dangereuse que l’esprit de tendance lui-même. Si je ne parle pas ici de tendance, c’est surtout parce que nous ne pouvons pas nous constituer en machine à conquérir du pouvoir. Ce que nous visons, ce n’est pas la conquête du pouvoir interne mais sa subversion, comme la subversion de toutes les cultures et de tous les appareils. Notre ambition n’est pas de constituer une sorte de parti bis. Si nous cherchons à donner continuité à nos liens, ce n’est pas pour pérenniser notre différence, pour installer une structure permanente mais, au contraire, pour agir afin que les structures existantes puissent enfin se fondre dans une formation neuve.
Un réseau donc, qui ne devrait pas être un lieu parmi d’autres, se substituant à d’autres, Parti communiste français ou États généraux du communisme. Mais un réseau qui s’efforcerait de rassembler celles et ceux qui, dans le Parti communiste français, veulent voir émerger une nouvelle organisation communiste ; qui ne veulent pas rester isolés, désorientés, désespérés ; qui veulent échange
r des idées, des expérimentations, des initiatives novatrices. Ce réseau n’est pas l’alpha et l’oméga du communisme, il n’aspire pas à exister pour lui-même. Il ne serait qu’un outil modeste, destiné à agir pour que tous les communistes se dotent ensemble de l’instrument politique à venir, dont ils ont besoin et qui n’existe pas encore. Un outil, au total, dont l’ambition temporaire est simple : tout faire pour que les membres du parti communiste français cessent de reculer devant la novation franche, sans laquelle leur espérance pourrait devenir sans effet.

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