La guerre des mots
Intervention Patrice Leclerc, réunion de l’OMOS du 21 octobre 2003
Cette intervention lapidaire et partiale, n’est pas un cadre au débat mais un point de vue, parfois lapidaire sur le sujet, une contribution au débat.
Il n’y a pas que la lepénisation des esprits qui se joue à travers les mots, l’esprit de la révolution est aussi un enjeu à travers la symbolique des mots.
Avec du recul, je trouve que les militants qui interrompaient mes interventions quand j’utilisais les mots « plan social » à la place de « licenciements » avaient raison. J’y voyais pourtant dans un premier temps soit une forme de dogmatisme hors de propos, un tic de langage. Les mots portent une représentation de la société, portent une pensée. Un licenciement qui devient un acte faisant partie « d’un plan social », ce n’est plus l’exclusion de l’entreprise par le patron qui s’exprime, mais une action sociale en direction de salariés en difficulté. Les rapports au pouvoir, au travail, à la contradiction capital/travail ne sont pas exprimés de la même façon selon les choix de vocabulaire.
La disparition sur une longue période dans l’expression publique du PCF, des mots « capitaliste, capitalisme » pour qualifier notre société et leur substitution dans le combat quotidien par les mots « libéralisme ou ultra libéralisme » on aussi été porteur de perte de repère, de sens dans l’action politique. Leur retour aujourd’hui n’en est pas moins significatif.
Dans la gestion municipale, ces phénomènes existent aussi. Ils conduisent à des modifications des rapports des élus à la gestion. Ils affectent leur capacité à inventer, développer une originalité de gestion. Ainsi, et je ne porte pas de jugement de valeur sur les élus concernés, j’en faisais partie, dans les années 1990, toutes les théories et pratiques « managériales » ont envahit l’espace de la gestion publique, de la gestion municipale. La difficulté de penser « une autre société » au présent conjuguée à la perception des indispensables changement à apporter aux services publiques pour mieux répondre aux besoin des populations, aux mutations de notre temps, ont amené les élus, de toute bonne foie, à être sensibles à cette idée que les critères de gestion du privée pouvait s’appliquer au public « le social en plus » et la rentabilité en moins. Moins que d’inventer un « nouveau système », une autre approche de la gestion, c’est une adaptation, certes sociale, des critères du privée qui a prédominé. Ce glissement, progressif, c’est fait par l’utilisation de concept et de mots produit par le privée. Ainsi on a développé dans les Mairies une approche budgétaire type « budget base zéro », chaque service a été invité à la chasse aux gaspillages, à la recherche d’économies, bien d’avantage qu’à la recherche de nouvelles prestations, de nouveaux rapports entre les usagers et le service public. Le mot « client » s’est mis à dominer dans les entreprises publiques comme la Poste, France télécom, à la place du mot « usager ».
Pour les communistes, la gestion communale au début du siècle dernier a été porteuse de symbolique ou au moins de sens. Ainsi la création de colonie de vacances, du quotient familiale, d’une politique du logement et de la culture volontariste ont porté la fierté de nombreuses personnes d’êtres de « ce camp là » qui fait « ces choix là ». Elles ont été porteuse de sens sur la vison d’un autre monde possible (certes adossé au monde soviétique mais cela faisait encore rêver à l’époque !).
Aujourd’hui les actes et les paroles dans la gestion communiste ne m’apparaît pas se distinguer fondamentalement de la gestion d’autres courants politiques. Il n’y a pas d’actes, de production d’idées fortes marquant une originalité de gestion.
En fait, j’ai le sentiment que la difficulté de penser le monde comme révolutionnaires, nous conduit à le décrire avec les mots des capitalistes. Une forme de cercle vicieux se forme ainsi bloquant notre capacité à produire de la symbolique, du sens dans la société autre que celles et ceux qui dominent.
Y a t il aujourd’hui du neuf qui s’exprime, des actes porteurs de sens et de symboliques ? Je pense, mais je peux me tromper, que le mouvement ouvrier n’en porte pas, sauf peut-être une image de désespoir, de fin de cycle, d’ouvriers qui lutte dos au mur. Il faudrait creuser cette question.
Pour autant, il doit bien y avoir des créations de symboliques dans le camp progressiste aujourd’hui. Ainsi je me suis interrogé moi-même sur les raisons de ma participation au rassemblement du Larzac cet été. Pourquoi, j’ai eu envie d’y participer alors que je ne suis pas franchement d’accord avec les anarchos libertaires qui étaient très présent dans le rassemblement. Qu’est-ce qui fait qu’une grande diversité de participants se retrouve ensemble au mois d’août sur le plateau du Larzac ?
L’évènement était porteur de beaucoup de sens, d’un message repérable par tous et pour tous : d’autres mondes possibles. En allant au Larzac on participait à cette construction.
Peut-être trouvons nous aussi cela derrière les mots « développement durable » que les Verts ont porté fortement et qui sont repris, parfois dévoyés, par tout le monde.
Qu’est-ce qu’il nous manque aujourd’hui. En fait il me semble que avant la production de symbolique ou plutôt pour produire de la symbolique il faut de la production d’idées, d’analyse de la société, de projets de société.
Il manque une production de symbolique qui permette de donner de la dignité à celle et ceux qui ont besoin que la société change.
Cette bataille qui a été gagnée au siècle dernier par le courant révolutionnaire est aujourd’hui perdue. C’est certainement un enjeu de reconquête aujourd’hui.