Information de Patrice Leclerc, sur les conséquences de la politique gouvernementale sur le logement
au conseil municipal de Gennevilliers du 27 mars 2019
Je souhaite informer le conseil municipal des graves difficultés que le gouvernement impose à l’OPH de Gennevilliers et plus largement à tous les bailleurs sociaux de France. C’est grave pour la vie quotidienne de nos concitoyens, à un moment où l’on compte 450 000 demandeurs de logements en Métropole pour 45 000 logements qui se libèrent par an, soit une moyenne de 10 ans d’attente pour avoir un logement.
La Loi portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (Loi ELAN) et la mise en place de la Réduction de Loyer de Solidarité constituent une remise en cause de la politique du logement social et menacent directement l’avenir financier des OPH et celui de Gennevilliers en particulier.
La « réduction de loyer de solidarité » (RLS), inscrite dans la loi de finances pour 2018 (article 126), constitue une menace catastrophique pour l’avenir de tous les bailleurs sociaux. Elle accompagne la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL) perçue par les locataires du parc social et a pour objet d’en effacer l’impact en diminuant d’autant leur loyer.
La RLS permet à l’Etat d’économiser : 800 millions en 2018, 1,2 milliards en 2019 et 1,5 milliard à partir de 2020.
Corrélativement, la conséquence directe de cette décision pour les OPH est une baisse de 8 à 10% de leur budget annuel.
Pour l’OPH de Gennevilliers, cette mesure représente 5 millions d’euros en moins pour la réhabilitation et la construction de logements, alors que 3 000 personnes sont en demande de logements sur la ville.
Le dispositif RLS s’ajoute à un ensemble de mesures conduisant à limiter les ressources des bailleurs, telles que la fin de la contribution de l’État aux aides à la pierre, la hausse de la contribution de bailleurs à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), le gel des loyers dans le parc social en 2018 et le relèvement de 5,5 % à 10 % du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux opérations immobilières dans le secteur du logement social.
Ces réformes sont inacceptables car elles organisent l’affaiblissement des organismes HLM et accélèrent la privatisation du logement social. Pour les locataires et les demandeurs de logement, elles entraîneront une précarisation des plus démunis et elles signent la fin du modèle HLM français.
Dans le détail, trois mesures vont aggraver la situation des offices.
– Première obligation : Vendre une partie du parc HLM pour renflouer le capital des offices (loi ELAN)
Cette mesure porte un coup ultime au modèle du logement social français en incitant les organismes HLM à vendre une partie du parc pour renflouer leur capital, au rythme de 45 000 logements HLM vendus par an, soit 1% du parc chaque année. Sur Gennevilliers cela représenterait une privatisation de 120 logements HLM par an.
Au surplus, il convient de noter que les ventes de logements locatifs, si elles apportent des recettes exceptionnelles, réduisent sur le long terme les revenus locatifs, d’autant qu’elles porteront certainement sur des logements de qualité et bien situés, au risque de contribuer à la paupérisation du parc social restant.
Les conséquences sont connues. Ce sont des copropriétés dégradées avec des délais d’attribution encore plus longs pour les demandeurs de logement.
Une partie des rentes générées par les ventes servira à financer un fond national pour la construction, qui permettra à l’Etat de réduire encore sa part dans le financement du logement social. Ainsi à travers cette révolution libérale, le gouvernement prépare la sortie d’une part importante de logements HLM dont les prix étaient encadrés, vers le marché immobilier spéculatif. Or cette politique de privatisation a déjà été mise en place ailleurs, et les résultats sont connus.
En 1979 au Royaume-Uni, Madame Margaret Thatcher a diminué le budget logement de 76%, provoquant la chute des constructions de logements sociaux dans le pays, qui passent de 74 500 en 1980 à 300 en 1997 ! Cette mesure mise en place dans le cadre du dispositif « Right-to-buy » et qui permet à certains locataires d’acheter avec une importante décote, le logement qu’ils occupent, est décriée. Une analyse a révélé que plus de 40% des maisons municipales vendues à Londres sont maintenant proposées à la location par des bailleurs du secteur privé. Certaines municipalités ont racheté les logements qui leur avaient appartenu à un prix plus de six fois supérieur au prix auquel elles les avaient vendus souligne Tom COPLEY, élu travailliste du Grand Londres dans son étude.
– Deuxième obligation : la fusion des offices visée par la loi ELAN
Ensuite pour pallier le déficit des recettes des Offices, la loi obligera les organismes à se regrouper, sur la base d’un nombre minimum de 12 000 logements sociaux, dans le but de créer 4 ou 5 grands groupes nationaux dont la plupart de type privé rémunérant des actionnaires. Ces fusions entraîneront l’émergence de structures technocratiques mastodontes, dont les liens avec les locataires seront définitivement rompus. De même, elles feront disparaitre le lien entre logement social et collectivités, au profit d’une gestion privée selon une logique libérale, entraînant une hausse importante des loyers.
La situation de l’Office Public de l’Habitat de Gennevilliers – Boucle Nord de Seine qui est rattaché à l’Etablissement public territorial Boucle Nord de Seine, depuis le 31 décembre 2017, mais l’était historiquement à la Commune de Gennevilliers, illustre ce constat.
Le taux SRU de la commune de Gennevilliers atteint actuellement 67%. L’OPH détient et gère un patrimoine de près de 9 000 logements sociaux sur le territoire Boucle Nord de Seine, soit 75 % du patrimoine locatif social présent sur la commune de Gennevilliers. Il a été, en outre, l’acteur majeur du protocole d’éradication de l’habitat indigne sur la commune en reconstruisant les logements démolis, selon le taux 1 pour 1. Propriétaire de 99% des logements présents sur le quartier prioritaire des Agnettes, il reste un acteur incontournable de la politique de renouvellement urbain sur le territoire et porte, par un plan stratégique ambitieux, la production d’une offre nouvelle de logements importante, à raison de 150 à 250 logements par an. Depuis deux années, l’OPH accompagne les équipes pour permettre une diversification de son activité (accession, logement locatif intermédiaire …), complémentaire de celle de la Société coopérative d’HLM Boucle de la Seine qui propose des logements en accession sociale.
Les priorités d’actions définies par la Loi ELAN obligent aujourd’hui l’Office public de l’habitat de Gennevilliers -Boucle Nord de Seine à repenser son organisation sur le territoire Boucle Nord de Seine en vue de son intégration dans une société anonyme de coordination. L’OPH entend en effet, mobiliser les outils mis à disposition dans la loi, pour développer les actions favorisant l’innovation au service des ménages aux revenus modestes, locataires et accédants à la propriété.
Dans ce contexte, l’OPH engage un processus de fusion – absorption avec la Société coopérative d’HLM La Clef, organisme absorbant. Ce processus devrait être finalisé au 1er janvier 2020, de même que le passage sous comptabilité commerciale. Cette dernière mesure est source de coûts et de création de postes pour la mettre en œuvre.
Dans ce contexte, une rencontre avec le cabinet du Monsieur le Ministre s’est tenue afin de faire le point sur le dossier de transformation de l’OPH de Gennevilliers – Boucle Nord de Seine et son intégration dans une société anonyme de coordination regroupant plus de 12 000 logeme
nts. Les échanges ont permis d’évoquer l’impact négatif de la RLS sur la soutenabilité économique des organismes HLM dans un contexte où ceux – ci doivent mobiliser leurs ressources pour construire des projets de coopération et de regroupement équilibrés et permettant de renforcer l’efficience de leur mission de service public. Cet impact négatif de la RLS sera rapidement visible sur le niveau d’entretien des patrimoines anciens et sur la qualité de vie des locataires du logements social mais également des habitants.
– Troisième obligation : Revoir à la baisse le volume de leurs dépenses d’investissements et de fonctionnement
L’étude d’impact de la Loi ELAN indiquait que les mesures prévues auraient des conséquences négligeables pour les organismes. Or, les simulations financières des Offices nous montrent le contraire.
À cet égard, l’étude « Perspectives » sur le logement social, menée périodiquement par la Caisse des dépôts et consignations, doit servir d’alerte, surtout si l’on compare l’édition réalisée en 2016, avant la réforme, avec la mise à jour effectuée à l’automne 2018.
Alors qu’en 2016 les perspectives d’avenir paraissaient relativement rassurantes pour les bailleurs sociaux, la RLS a pour effet de comprimer les charges au point que le ratio d’autofinancement deviendrait négatif.
Ainsi, à Gennevilliers, à cause de ces mesures, l’autofinancement courant de l’OPH devient négatif. L’Office ne peut plus financer son activité courante et ne dégage pas de fonds pour investir. Son potentiel financier ne permet plus d’emprunter et d’assumer les investissements programmés.
Pourtant, les Villes, à l’image de Gennevilliers, garantissent déjà intégralement les emprunts souscrits par leur office. Gennevilliers subventionne son office pour financer des opérations de construction neuve, de réhabilitations et de renouvellement de composants.
Les bailleurs sociaux sont ainsi pris en étau entre d’une part la limitation des revenus induite par la RLS et d’autre part l’accroissement des charges.
La Caisse des dépôts et consignations note que « le résultat récurrent généré par l’activité locative se dégraderait fortement au cours des 20 prochaines années, du fait de la RLS qui pèse sur les recettes locatives et de la charge de la dette portée par les importants investissements réalisés depuis la fin des années 2000 ».
Or les organismes de logement social, au-delà de la satisfaction des besoins nouveaux qui appellera à poursuivre l’effort de construction, devront faire face à des besoins importants de rénovation, notamment thermique, d’un parc social qui pour moitié est antérieur à 1975.
Il résulte de tout cela une chute des constructions de logements, dans et hors du secteur social comme en témoigne l’alerte de l’AORIF au sujet de la baisse de production francilienne de logements sociaux. Pour la seconde année consécutive, « la production francilienne de logements sociaux est en baisse en 2018 ». Et ce, alors que « plus de 720 000 demandeurs sont aujourd’hui en attente d’un logement social – jeunes, familles, salariés, personnes âgées… alors qu’il n’y a eu que 73 890 attributions en 2018 ». L’Aorif précise : « En deux ans, la production de logements sociaux a chuté de 20% en Île de-France. Il faut remonter à 2014 pour retrouver un nombre d’agréments inférieur à 29 000 ».
Pour la première fois, le 20 février, l’Union sociale pour l’habitat, la FFB (Fédération française du bâtiment (FFB), l’Association des maires de France (AMF), l’AdCF (Assemblée des Communautés de France) et la Fondation Abbé Pierre, ont alerté sur l’urgence de la situation du logement en France, et ont lancé un appel commun pour une politique du logement « plus ambitieuse», plus particulièrement concernant les logements sociaux, qui permettrait notamment de booster la mise en chantier d’habitations. La diminution du nombre de mises en chantier a été de 7% en 2018. Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat, s’est déclaré « préoccupé » par la mise en œuvre de la loi Élan avec « une chute du nombre de constructions tant dans le logement social que dans le libre ». Il a appelé à « passer un véritable pacte de production pour le logement ». De son côté, Marcel Rogemont, président de la Fédération des OPH (Offices publics de l’habitat), souligne : « On ne peut pas avoir une vision strictement financière ». Quant à François Baroin, président de l’AMF, il alerte « On est au-devant d’une très grande crise ». Il rappelle le rôle majeur des bailleurs sociaux, dont la « politique immobilière et sociale » est « par nature en cohérence » avec celle des collectivités.
Conclusion :
La politique du gouvernement est un renoncement à conserver un haut niveau de production de logements sociaux.
La loi de finances pour 2020 doit tirer les conclusions, deux ans après la création de la RLS et un an après l’entrée en vigueur de la loi ELAN, de son impact financier désastreux.
C’est pour ces raisons que la ville de Gennevilliers demande au Gouvernement de supprimer la « réduction de loyer de solidarité » (RLS) inscrite dans la loi de finances. Elle demande au gouvernement de renoncer et d’annuler une mesure qui va conduire à la mise en faillite des Offices Publics de l’Habitat.