Ile-de-France : comment la banlieue rouge a acquis des œuvres d’art dignes de musée
A l’automne prochain, la ville de Gennevilliers accueillera « Trésors de banlieue », une exposition rassemblant quelque 350 œuvres prêtées par une quarantaine de villes populaires. La constitution de ce patrimoine s’est faite au gré d’histoires humaines… et politiques.
Il y a des noms très connus, tels Chagall ou Fernand Léger. D’autres un peu moins comme les peintres Boris Taslitzky et Corneille ou le dessinateur de bandes dessinées Caza. Et certains quelque peu inattendus, comme celui d’Elsa Triolet, la muse d’Aragon, dont on découvre qu’elle n’était pas seulement une femme de lettres mais aussi créatrice de bijoux à ses heures.
Autant d’artistes dont certaines œuvres ne sont pas la propriété de musées ou de riches collectionneurs mais… de municipalités de banlieues populaires. A l’instar de Gennevilliers, qui s’apprête à accueillir à l’automne prochain une exposition de 350 œuvres représentatives de ces « Trésors de banlieue ». « Cet automne, Paris va nous jalouser, prédit Patrice Leclerc, le maire (PCF). Le public va enfin avoir l’opportunité d’accéder à ces œuvres, qui se rapprochent des lieux de vie des habitants. »
C’est l’association l’Académie des banlieues qui s’occupe de la scénographie, du transport, de l’événementiel et de la communication. « 350 œuvres, 41 collectivités de toute la France, des villes de banlieues parisienne mais aussi de la périphérie de Rouen (Saint-Etienne-du-Rouvray), de Lyon (Vénissieux) ou encore de Toulon (Solliès-Toucas) : à cette échelle, c’est unique », salue Sylvie Gilles, la secrétaire générale de l’association. Mais comment des villes aux populations parfois très modestes se retrouvent-elles à posséder des pépites d’art contemporain ?
Une partie de ce fonds colossal vient de donations. « De nombreux artistes ont été en résidence dans les communes ou ont été aidés et accompagnées par celles-ci, détaille Noël Coret, le commissaire de l’exposition. En remerciement, ils ont offert une ou plusieurs œuvres ». Autre possibilité : des collectionneurs locaux qui font don d’une œuvre à leur commune.
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Mais la principale explication de ce phénomène est… politique. Tout au long du siècle dernier, des villes de banlieue rouge ont enfourché un des chevaux de bataille du Parti communiste : rendre la culture accessible au plus grand nombre, notamment via l’achat régulier d’œuvres. C’est par exemple le cas du conseil départemental du Val-de-Marne, qui a acquis un tel fond d’art contemporain qu’il a fini par lui bâtir un musée, le désormais célèbre MAC Val à Vitry-sur-Seine.
L’incroyable histoire du Chagall de Fontenay-sous-Bois
L’histoire de Fontenay-sous-Bois rassemble ces deux aspects. A la fin des années 1960, Eugène Balayn, un « homme d’un certain âge », vivait chichement à Fontenay. Il décide alors de remercier la ville qui lui fournit assistance et aides sociales en lui faisant don de son trésor : un Chagall, que l’artiste lui avait offert directement bien des années plus tôt.
« Il n’a posé qu’une condition, que le tableau soit exposé au public », précise Jean-Philippe Gautrais, le maire (FdG). Par souci de sécurité, l’original est prêté au Musée d’art et d’histoire du judaïsme mais une copie est bien exposée dans le hall de l’hôtel de ville. « C’est un geste très fort, poursuit l’élu. Ici, la culture ne sera jamais le parent pauvre. Nous avons 300 œuvres d’art, un salon qui fête ses 18 ans cette année, la première classe prépa art, un atelier d’artistes, etc. »
« Dans le même temps, des artistes de renom étaient liés au Parti, poursuit Noël Coret. Boris Taslitzky dont on trouve des œuvres à Gennevilliers ou Levallois-Perret, a réalisé de véritables témoignages de la vie ouvrière. »
Ce n’est donc pas un hasard si des villes populaires ou qui l’ont longtemps été se retrouvent propriétaires de tels trésors. « La banlieue est à l’origine de 95 % de la création contemporaine, analyse le conservateur. Ensuite Paris digère et revendique ces courants, mais c’est bien la banlieue qui façonne et imprime sa marque à l’art. Aujourd’hui c’est le cas avec le street art et le hip-hop. Je suis encore stupéfait de cette puissance créatrice. La banlieue est bien le terreau de l’art contemporain. »
LA BELLE RENCONTRE DU MAIRE DE VILLIERS-ADAM AVEC LE PEINTRE CORNEILLE
L’œuvre que Bruno Macé va prêter à l’exposition trône dans sa mairie de Villiers-Adam, un village de 850 âmes dans la vallée de l’Oise : un triptyque de près de 2,5 m sur 1,60 m du peintre Corneille, Guillaume Cornelis Beverloo de son vrai nom, une figure de l’art contemporain membre du mouvement artistique Cobra.
Passionné d’art, Bruno Macé est élu maire en 2008. « J’ai alors fait la connaissance d’une femme qui commençait à s’impliquer dans la vie locale, se souvient-il. J’ai découvert que son mari n’était autre que le peintre Corneille, un artiste dont j’admirais l’œuvre : cela a été une révélation. » Très discret, l’artiste alors âgé de 76 ans, habite la commune depuis plus de dix ans, presque incognito. Les deux hommes sympathisent.
Grâce au maire, l’artiste est enterré à côté des frères Van Gogh
« Il s’est alors investi dans la commune et a même animé des classes avec les enfants de l’école, poursuit l’élu. On s’est connu deux ans mais cela a été intense. » A la mort de Corneille, en 2010, Bruno Macé et son homologue d’Auvers-sur-Oise réussissent à accéder une des dernières volontés de l’artiste : qu’il soit enterré dans le cimetière d’Auvers, juste à côté des frères Van Gogh, d’origine néerlandaise comme lui.
Entre-temps, en 2009, Corneille avait offert ce triptyque à son village d’adoption. L’immense œuvre contemporaine et colorée a suscité discussions et débats dans ce village niché au cœur du berceau des Impressionnistes. Aujourd’hui, elle domine la salle du conseil avec pour voisins deux toiles de Pazem et Dan Jacobson.
« C’est le résultat d’une belle rencontre, résume Bruno Macé. On aurait pu ne jamais nous croiser. Une telle œuvre est une incroyable richesse pour une petite commune comme la nôtre. »