Je reproduis ci-dessous un article de la gazette.fr qui édite une interview d’Alain Lambert qui vient d’être chagé par le Président de la République d’une mission sur l’optimisation et la maitrise de la dépense publique.
L’orientation de son travail est très inquiétante. Elle éclaire sur ce que pourrait être décidé par le gouvernement en matière de statut des agents de a fonction publique, d’autonomie des collectivités locales. Autant de question sur lesquelles il faudra agir. Il faut aussi des élus combatifs aux cotés des salariés et des habitants pour modifier ses projets et ensuite lutter contre leur conséquences.
Avec Martin Malvy, président du conseil régional de Midi-Pyrénées, Alain Lambert, ancien ministre du Budget et président du conseil général de l’Orne, vient d’être chargé par le président de la République d’une mission sur l’optimisation et la maîtrise de la dépense publique. Dans son ouvrage « Déficits publics, La démocratie en danger » (Ed. Armand Colin), il assure qu’il y a urgence.
[1]Partagez-vous le diagnostic sur les déficits publics fait par la Cour des comptes [2] ?
Il y a en France un désordre très profond. Les politiques sont menées conjointement et solidairement par l’Etat, la protection sociale et les collectivités territoriales. Mais les dépenses qui en sont issues sont réparties dans les comptes des 3, de manière purement conventionnelle. Elles ne traduisent en rien la volonté politique de chacun.
Il est donc très difficile de juger de la performance des politiques publiques de l’échelon régional, départemental, intercommunal et communal puisque chacune de ces strates applique des politiques décidées au niveau central. Les comptes décrivent l’échelon à qui a été imputée la dépense, non le décideur.
Une démocratie suppose des règles pour savoir qui décide d’une politique publique, qui la pilote, qui la gère, qui la paie. Dans notre mission, nous allons identifier des politiques publiques (handicap, formation professionnelle…) et décrypter à chaque fois qui fait quoi.
Les élus locaux ont une légitimité tirée du suffrage universel. Comment réguler ces dépenses ?
Les responsabilités ne sont pas suffisamment établies. Mais il n’est pas d’élus locaux ou nationaux qui ne doivent des comptes à la Nation. Les collectivités auraient tort de croire que le suffrage universel ne les rend pas redevables de rendre des comptes au pays. Les Français et donc les collectivités sont tenus par les engagements européens de la France.
Ma recommandation est que le programme de stabilité, qui est un engagement de la France à l’endroit de nos partenaires européens, soit cosigné par tous les échelons territoriaux de manière à ce que tout le monde se sente partie prenante de cet engagement. Les collectivités n’ont pas à se considérer comme autonomes vis-à-vis de l’Etat ni de l’Union européenne.
Je souhaite que soit inclus dans le pacte de confiance du printemps prochain le programme de stabilité car il a le mérite de mettre la protection sociale dans la boucle et d’avoir les partenaires européens comme témoins de nos engagements mutuels entre administrations publiques françaises.
Une signature des engagements maastrichiens suffirait-elle ?
Est-ce que le code de la route suffit à ce que les automobilistes aient un comportement responsable ? A l’évidence les codes et les lois n’ont jamais été une garantie de la vertu. Mais ils engagent et obligent à clarifier la part que chacun doit prendre dans l’effort collectif.
Je suis surpris qu’il y ait une loi de financement de l’Etat, une pour la protection sociale mais qu’il n’y en ait pas pour les collectivités locales. Cela signifie que le sort qui leur est réservé tant en dépenses qu’en recettes n’est pas clarifié au départ. Une telle loi de financement pour les collectivités locales est indispensable et urgente(1) [3].
Vous proposez d’élargir la LOLF aux collectivités ?
La LOLF a été limitée à l’Etat parce que l’article 34 de la Constitution ne nous permettait pas à l’époque de l’étendre à toutes les administrations publiques. Il faudrait une révision technique de la Constitution pour nous autoriser à le faire.
Une loi de financement pour les collectivités ne porterait-elle pas atteinte à leur autonomie ?
Avec une telle loi, nous aurions au moins une indication des objectifs de recettes et des plafonds de dépenses au-delà desquels les collectivités ne pourraient pas aller. Le plafond serait déterminé conjointement entre le Parlement et les collectivités, 2 pouvoirs qui ont la même légitimité.
La part respective des dépenses obligatoires et discrétionnaires devrait être en même temps clarifiée entre l’Etat et les collectivités. Il n’y a pas d’atteinte à l’autonomie. De toute façon, c’est une fiction de croire que les collectivités sont aujourd’hui totalement autonomes.
La Constitution française leur dit, mais ce n’est pas ce que leur dit le Traité européen. Elles dépendent également beaucoup des dotations versées par l’Etat.
A quel niveau ce plafond devrait-il être fixé ?
Fixer un plafond par collectivité serait irréaliste. Il faudrait plus sagement le faire par échelons territoriaux. Cela créerait des solidarités qui aujourd’hui n’existent pas. Pour la péréquation, les collectivités se battent entre elles au même niveau territorial.
Là, elles comprendraient la nécessité d’avoir une approche globale et nationale de leur échelon territorial. Je suis pour des dépenses stabilisées, le zéro valeur en langage budgétaire. Le plafond serait approuvé ou consenti par chaque échelon territorial dans un lieu qui engagerait chacun dans la négociation avec l’Etat et avec la protection sociale.
Cela pourrait se faire au sein du Comité des finances locales (CFL), peut-être réhaussé en Haut conseil à l’avenir. Mais ce lieu doit réunir à la fois les collectivités territoriales, l’Etat et la protection sociale, qui n’est pas présente aujourd’hui au CFL.
Quelles pourraient être les contraintes en cas de dépassement ?
Avec un permis de conduire, vous pouvez conduire plus vite que ce qui est autorisé. Mais aussi risquer de perdre des points. Il faut faire pareil. Une collectivité pourrait perdre une part de sa liberté, via une baisse des dotations par exemple.
Où sont les gisements d’économies dans les collectivités aujourd’hui ?
Ils sont dans l’action publique en tant que véhicule des biens et services publics. Le logiciel de fonctionnement de l’ensemble doit être absolument unifié. Le
s gains d’efficacité sont aux croisements de l’Etat, de la sécurité sociale et des collectivités où il y a à chaque fois des services communs qui constituent un système bureaucratique absolument kafkaïen.
C’est tellement vrai que nous n’arrivons pas à avoir une interopérabilité comptable. Actuellement les comptes publics ne nous permettent pas de connaître, sur une politique partagée, la part payée par l’Etat, celle payée par la sécurité sociale et celle payée par les collectivités.
La comptabilité publique ne nous donne pas l’information, ni l’Insee. Tout simplement parce que les référentiels comptables sont différents. Il faut unifier tout cela. Le secret du redressement des finances publiques de la France se trouve là.
Comment peut-on faire sortir toutes les dépenses obligatoires des départements ?
Compenser les dépenses des 3 AIS [allocations individuelles de solidarité, ndlr] par de la fiscalité transférée revient à s’enfoncer dans l’erreur. Le seul moyen est de recentraliser cette dépense sans recentraliser la gestion.
On pourrait imaginer que les départements aient une sorte de DSP, c’est-à-dire une délégation, non pas un transfert de compétences, sur ces AIS avec un remboursement de l’Etat qui pourrait être modulé entre 90 % et 100 % selon la qualité de la gestion et du contrôle qui serait effectué par les départements.
L’acte III va-t-il permettre de mieux dépenser ?
Nous avons un saut de civilisation à faire dans le droit administratif français. Il nous faut apprendre à fonctionner maintenant en réseau y compris juridiquement. Les projets de loi de décentralisation peineront à aboutir à quelque chose de fructueux.
En revanche, le vrai cap à passer est de laisser et même encourager la liberté contractuelle des collectivités. Si une fédération de départements a envie de contractualiser avec la région, il faut laisser faire. Interdisons-nous les lois trop rigides et laissons une grande liberté aux territoires.
Vous avez un discours recentralisateur, même plutôt méfiant vis-à-vis des collectivités…
Centralisateur, j’assume car je suis jacobin. Méfiant, non. Les distances ont évolué avec les nouvelles technologies. La vraie fédération aujourd’hui, c’est l’Europe. Or en France nous ne pouvons pas nier en être restés à un émiettement, notamment local, qui ressemble à celui du Moyen-Age.
Comme tout libéral, je crois au principe de responsabilité. Pour moi le prescripteur doit être le payeur. C’est vraiment le corollaire de la liberté.
Que pensez-vous des mutualisations formées entre les communes et leurs groupements ?
J’y suis très favorable. Elles cassent les codes établis par le droit administratif, un droit qui ne tient pas compte des contraintes financières pouvant être attachées à l’atteinte de l’intérêt général. Elles obligent à entrer dans un champ qui n’est pas naturel pour le droit administratif, celui du champ contractuel.
La mutualisation est une convention qui réunit plusieurs partenaires appartenant à des strates territoriales différentes pour poursuivre des objectifs d’intérêt général en partageant les moyens. Derrière l’intérêt pécuniaire immédiat, il y a une évolution culturelle très féconde.
Comment faire passer un message de stabilisation des dépenses auprès des agents d’une collectivité et des électeurs ?
Il est plus facile à faire passer qu’on ne le croit. Les gouvernements successifs ont tous promis la réduction des dépenses, ce qui est absolument impossible. Cela ne s’est d’ailleurs jamais fait.
Moi, j’ai toujours promis la stabilité à mes concitoyens et à mes collaborateurs. Elle se fonde sur des ajustements : les coûts supplémentaires et les impacts sur la masse salariale sont compensés par des gains d’efficacité et de productivité. A la ville d’Alençon, nous avons tenu pendant 9 ans. Nous n’avons jamais eu de grève.
Est-ce que le statut est un obstacle à une gestion efficiente et économe de la fonction publique territoriale ?
Incontestablement. Il faut toutefois aborder la question du statut d’une manière calme pour n’effrayer personne. Cela revient à dire aux titulaires du statut qu’ils le conserveront. Et proposer aux candidats à la fonction publique de choisir entre la sécurité de l’emploi (un CDI de 40 ans) et moins de sécurité de l’emploi avec une rémunération plus importante. Avec une exception pour les fonctions régaliennes.
Le système du concours garantit une égalité de traitement dans le recrutement…
Le concours fige pendant 40 ans la qualité d’un agent… Les citoyens méritent mieux. Il faudrait un concours tous les 5 ans. Il faut que chaque agent au service de l’intérêt général sache qu’il a plus de devoir que l’intérêt privé.
On ne peut pas s’offrir dans le public avec l’argent des contribuables des rentes de situation qu’on ne trouve pas dans le privé. C’est inadmissible ! Les statuts n’ont pas été faits pour protéger leurs titulaires, mais les citoyens.
A force d’austérité ne va-t-on pas arriver à une récession et à une crise de l’investissement local ?
Je suis convaincu que nous sommes déjà en sous-investissement chronique qui est l’une des raisons de l’apathie de la croissance française. Si les dépenses excessives actuelles étaient en investissement, je ne serais pas inquiet. Mais elles sont excessives en fonctionnement. Il n’est pas sain que la sécurité sociale des Français soit payée par l’emprunt.
Pour reprendre le titre de votre ouvrage, si en France on continue sur une forme de laxisme, s’expose-t-on aux pires dangers ?
La barbarie prend des formes très diverses dans le monde. Celle qui a frappé en 39-45 n’était pas imaginable. Rien dans les années 1930 ne le laissait présager. Je ne suis pas capable de vous prévoir quelle forme de barbarie nous menace. Mais lorsque nous n’avons plus les moyens de faire fonctionner ce qui fait qu’une Nation est une famille, alors elle est menacée des pires pertes de ce qui est essentiel sur le plan humain : les libertés, la sécurité, toutes les valeurs de la République.
L’Argentine était la 5e puissance économique mondiale avant la crise. Depuis, elle n’a plus que des crimes, des milices, des règlements de compte. C’est un pays qui a été rétrogradé à la 25e place mondiale. C’était inimaginable. Même si nous sommes dans une zone monétaire protectrice, nous ne pouvons pas rester passager clandestin toute notre vie.
Les collectivités locales sont-elles des passagers clandestins ?
Elles sont surtout un bouc-émissaire facile. Les collectivités sont rendues responsables de la situation des finances publiques parce que personne n’ose encore parler de la protection sociale. Le procès qu’on leur fait est un peu rapide.
Les dépenses discrétionnaires de l’assemblée départementale de l’Orne par exemple s’élèvent à 8 % et sont stables, voire en baisse. 92 % des dépenses sont décidées par l’Etat et elles croissent de manière vertigineuse… C’est pourquoi notre mission ne se limite pas aux seules collectivités, mais concerne aussi la protection sociale.
Pensez-vous que le futur encadrement du cumul des mandats pourrait contribuer à l’appréciation de vos idées ?
Les élus ne supportent plus qu’on leur reproche des dépenses qu’ils ne décident pas. Je suis leur allié le plus fervent sur ce point. Sur le non cumul, il faudrait arriver à quelque chose de raisonnable : un mandat parlementaire avec celui d’un exécutif moyen (pas un grand), voire délégué du type vice-président. Mon inquiétude serait que les parlementaires soient complètement sans expérience.
Par exemple, je suis conseiller municipal dans une ville de 150 habitants après avoir été maire de la ville chef-lieu du départ
ement. J’ai découvert des problèmes que je n’avais jamais rencontrés car il y avait dans la ville chef-lieu des services qui réglaient tous ces problèmes. C’est le cumul des exécutifs qui est gênant. Il faut être en revanche sans pitié sur le cumul des indemnités, cela permettra déjà de rationaliser.