La revue du Projet l’a demandé un article sur la ville lente. Le voici.
La slow attitude n’est pas un mouvement nouveau. Il se développe depuis la fin des années 80 sur plusieurs thématiques villes lentes, slow food, avec un point commun à chaque fois la recherche d’une meilleure qualité de vie.
Il ne s’agit pas d’une idée « naturellement » communiste, mais d’une idée à regarder de près tant elle peut nous interpeler sur nos pratiques politiques en directions des milieux populaires, en plus de la question de la qualité de la vie.
Il existe un réseau international des villes du bien vivre réunissant des communes de plusieurs pays à partir d’un mouvement venu d’Italie. Cette attitude proche des mouvements de la décroissance économique n’est pas forcément ralliée par des villes progressistes. La ville de Grigny, animé par René Balme, maire Front de Gauche côtoie la ville de Segonzac, première commune a avoir adhéré à la charte citaslow dirigée par une maire UDI.
La liste des engagements de la charte peut laisser facilement penser qu’il s’agit là plus affichage politique, de communication que d’une réelle transformation de la vie :
- Multiplication des zones piétonnières,
- Mise en valeur du patrimoine urbain historique en évitant la construction de nouveaux bâtiments,
- Création de places publiques où l’on peut s’asseoir et converser paisiblement,
- Développement du sens de l’hospitalité chez les commerçants,
- Règlements visant à limiter le bruit,
- Développement de la solidarité intergénérationnelle,
- Développement des productions locales, domestiques, artisanales et des basses technologies,
- Préservation et développement des coutumes locales et produits régionaux,
- Développement des commerces de proximité,
- Systèmes d’échanges locaux,
- Priorité aux transports en communs et autrestransports non polluants,
A la lecture de cette liste de nombreuses équipes municipales pourraient comme Monsieur Jourdain : « faire de la ville lente sans le savoir ». Ceci dit, chaque point comporte en lui même des possibilités de résistances concrètes et locales au stress, aux pressions sur les êtres humains causées par une augmentation de la productivité écrasant l’humain et les rapports. Fou serait celui ou celle qui dédaignerait ces espaces d’actions, de réinvention d’une certaine qualité de la vie plaçant l’humain au centre de toutes les préoccupations.
Ce qui m’intéresse dans « cette slow attitude » c’est la méthode qu’elle permet pour (re)tisser des liens avec les couches populaires, travailler la politisation de masse. Certes, il y a le contenu. Le « certes » est de trop car compose l’essentiel, mais là n’est pas l’objet de l’article. J’en resterai sur le comment.
Nous voulons faire avec les gens, nous avons appris que la démocratie est autant un moyen qu’une fin et nous sommes souvent déçus du peu de répondant à « nos efforts » pour associer les gens. Bien des facteurs agissent pour expliquer la « non participation » malgré nos bonnes intentions. Peut-être faut-il aussi réfléchir à nos rythmes, à la vitesse de nos rapports avec les gens, à la qualité de nos relations ? Peut-être que la rapidité de l’actualité, ce tourbillon journalier d’informations et de nouvelles, la quantité de réunions ou actions que nous voulons engager dans un minimum de temps pour « être à la hauteur des attaques », répondre aux besoins, favoriser l’intervention citoyenne, peut-être que la course de vitesse dans laquelle nous nous engageons en compétiteurs désavantagés « par l’idéologie dominante » créent de la distance avec les gens.
N’avons nous pas remarqué combien la stratégie de Nicolas Sarkozy de création d’un événement par jour, brouillait tout, empêchait la mobilisation et développait un sentiment d’impuissance ?
Notre formation politique, notre courant de pensée communiste, s’est construit et développé dans une période (fin XIX et XXe siècle) où l’idée était largement partagée que nous avancions vers la sécurité, « le progrès ». Le monde progressait. Cette perception « d’un avenir radieux » aidait à la mobilisation sur des possibles perçus comme … possibles. Elle favorisait l’appel à l’innovation, à la prise de risque individuelle et collective, à l’investissement sur un projet commun du mieux vivre ensemble.
Le développement de la précarité, d’une insécurité sociale, d’une peur de l’avenir engagent les citoyens sur des logiques conservatoires, de protection (d’ou le retour à la famille, à l’identité personnelle…). C’est quand on se sent en sécurité que l’on apprécie d’être confronté à des choix, que l’on se sent capable de contrôler les incertitudes et donc en capacité d’initiative. En situation d’insécurité on ne veut prendre aucun risque. Les couches populaires ne veulent donc pas prendre de risque, même si c’est elles qui ont le moins à perdre.
Le relationnel personnel devient important, parfois plus important que « le contenu », « le projet », non personnalisable. Il faut donc envoyer des signes relationnels avec nos interlocuteurs, prendre le temps de la connaissance, de la reconnaissance mutuelle pour permettre le temps de la dignité retrouvée par la reconnaissance des personnes, de l’investissement dans l’appropriation des enjeux.
Nos enfants sont déjà en train de découpler le plus et le mieux, dans leur rapport au travail, leur vie familiale, leur rapport au monde et de façon encore insuffisante dans leur rapport à la consommation. Il faut savoir, en révolutionnaire, « écouter l’herbe qui pousse » (Karl Marx).
Patrice Leclerc
Conseiller général des Hauts-de-Seine