Le fascisme aujourd’hui: une vraie menace

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Je partge l’analyse publiée dans Médiapart par Edwy Plenel. A lre avec en arrière fond la situation en France !

L’Europe, la Hongrie et le fascisme d’aujourd’hui: l’alarme de Robert O. Paxton 05 Janvier 2012Par Edwy Plenel

Membre de l’Union européenne depuis 2004, la Hongrie est dotée depuis ce début d’année d’une nouvelle Constitution. Imposé par la droite extrême du premier ministre Viktor Orban, ce texte liberticide est bien plus qu’une régression démocratique. C’est une alarme pour tous les Européens sur ce que serait un fascisme d’aujourd’hui, son nouveau crédo et ses nouveaux atours. Démonstration par le détour d’un livre trop peu commenté de l’historien américain Robert O. Paxton, Le fascisme en action (Seuil, 2004).

Auteur notamment du célèbre La France de Vichy (Seuil, 1973), qui rappella combien la majorité des élites françaises de 1940 avaient accompagné la Collaboration, Robert O. Paxton (lire ici sa notice Wikipédia) publia cette étude, titrée The Anatomy of Fascism pour sa version anglaise, dans le contexte particulier de l’après-11 Septembre et de la présidence de George W. Bush, marquée par un crispation essentialiste, missionnaire et guerrière, de la nation américaine. Tout le propos du livre est de répondre à cette question aussi complexe à éclairer qu’elle est simple à formuler: «Qu’est-ce que le fascisme?». Et, après y avoir répondu en revisitant les deux fascismes qui s’imposèrent, l’italien et l’allemand, de se demander quelles formes prendraient un fascisme d’aujourd’hui. Posées en 2004, ces questions ont encore plus de force sept ans après, quand la crise financière ébranle les certitudes et les situations apparemment les plus solides et les mieux établies. Ce qui suit tient donc de la note de lecture plutôt que d’un article inédit, d’où sa place sur mon blog du Club plutôt que dans le journal de Mediapart.

La réponse de Paxton, c’est qu’il faut repérer et catégoriser le fascisme sur la base de son action concrète plutôt que de son apparence conjoncturelle, historiquement datée. «Il n’y a pas d’habit particulier pour ce moine-là», écrit-il après avoir démontré que les fascismes ont toujours été «plus hétéroclites que les autres « ismes »». Tout simplement parce que leur socle commun – le refus du droit naturel, du droit d’avoir des droits, de l’égalité des individus, de celle des « races », ethnies ou origines, et donc de celle des peuples et des nations – les mène toujours à une essentialisation d’une identité nationale fantasmée et exacerbée. «La communauté vient avant l’humanité dans le système de valeurs fasciste, explique Paxton, et le respect des droits individuels ou des procédures légales y laisse la place à l’asservissement à la destinée du Volk (version allemande) ou de la razza (variante italienne). Il s’ensuit que les mouvements fascistes nationaux ont pleinement exprimé leurs particularismes culturels.»

D’une rigueur aussi minutieuse que précautionneuse, l’ouvrage de Paxton comporte une mise en garde pour aujourd’hui, à la fois rationnelle dans ses attendus et mesurée dans son énoncé, et qui n’en a donc que plus de force. La voici: «Par définition, la vaccination de la plupart des Européens contre le fascisme originel, à la suite de son humiliation et de sa déchéance publiques en 1945, est temporaire. Les tabous de l’époque vont inévitablement disparaître avec la génération des témoins oculaires des faits. De toute façon, le fascisme du futur – réaction en catastrophe à quelque crise non encore imaginée – n’a nul besoin de ressembler trait pour trait, par ses signes extérieurs et ses symboles, au fascisme classique. Un mouvement qui, dans une société en proie à des troubles, voudrait « se débarrasser des institutions libres » afin d’assurer les mêmes fonctions de mobilisation des masses pour sa réunification, sa purification et sa régénération, prendrait sans aucun doute un autre nom et adopterait de nouveaux symboles. Il n’en serait pas moins dangereux pour autant.»

Par exemple, poursuivait en 2004 l’historien dans le contexte de la « guerre des civilisations » initiée par l’administration Bush en riposte aux attentats d’Al-Qaida, «toute nouvelle forme de fascisme diaboliserait forcément un ennemi, intérieur et/ou extérieur: mais cet ennemi ne serait pas forcément les Juifs. Un mouvement fasciste américain authentique serait religieux, anti-Noirs et, depuis le 11 septembre 2001, de surcroît anti-islamique; en Europe occidentale, il serait séculier et, ces temps-ci, sans doute plus anti-islamique qu’antisémite; en Russie et en Europe de l’Etst, il serait religieux, antisémite, slavophile et anti-occidental.»

En d’autres termes, sous le choc de la
brutalisation de la démocratie américaine par l’administration Bush, laquelle – ne l’oublions jamais – autorisa, organisa et systématisa la pratique de la torture, Robert O. Paxton nous prévenait que les possibilités d’apparition d’un nouveau fascisme, sous d »autres apparences et dans d’autres contextes, «ne sont pas moins grandes que dans les années 1930, et probablement même plus grandes, du fait, depuis 1945, des nombreuses expériences démocratiques et de gouvernements représentatifs ayant échoué». Dès lors, «c’est en comprenant comment les fascismes du passé ont fonctionné, et non en vérifiant la couleur des chemises ou en cherchant des échos de la rhétorique des dissidents nationaux-syndicalistes du début du XXe siècle, que nous pourrons en reconnaître un» – un fascisme d’aujourd’hui.

Avant de ramasser en synthèse ces caractéristiques du fascisme en action, par delà les circonstances et les conjonctures, Paxton résumait le contexte favorable à sa renaissance dans une description anticipatrice, dont la résonance avec le climat politique actuel de certains pays européens est évidente: «Les signes avant-coureurs bien connus – propagande nationaliste exacerbée et crimes haineux – sont importants, mais insuffisants. Avec ce que nous savons aujourd’hui sur le cycle fasciste, nous sommes en mesure de découvrir des signes avant-coureurs beaucoup plus menaçants dans des situations de paralysie politique lors d’une crise, dans l’attitude de conservateurs à la recherche d’alliés plus énergiques et prêts à renoncer aux procédures légales et au respect de la loi afin d’obtenir un support de masse via la démagogie nationaliste et raciste. Les fascistes sont proches du pouvoir lorsque les conservateurs commencent à leur emprunter leurs méthodes, font appel aux passions mobilisatrices et essaient de coopter la clientèle fasciste».

En lisant cet extrait, il est difficile de ne pas en entendre l’écho dans notre présent avec, en France, la stratégie sarkozyste de chevauchage du lepénisme, qui le consolide et le légitime plutôt qu’elle ne le réduit et le marginalise. Mais c’est la Hongrie qui, au sein de l’Europe à 27, offre aujourd’hui l’exemple le plus significatif. Il y a tout juste un an, alors que le régime de Viktor Orban avançait ses premiers pions en s’attaquant à la liberté de l’information, Mediapart avait déjà fait du désastre hongrois un test décisif pour l’Europe, étant entendu que, dans notre esprit, elle n’est pas d’abord un espace géographique ou une réalité économique, mais une ambition politique dont la seule frontière devrait être la démocratie (lire ici mon article: « L’Europe égarée ou le desastre hongrois »). L’avertissement de Bruxelles fut sans frais, et le pire était à venir.

La nouvelle Constitution hongroise entrée en vigueur depuis le premier jour de l’année 2012 efface la «République de Hongrie» pour la remplacer par la «Hongrie», c’est-à-dire un pays qui ne se définit plus à travers son régime politique mais par une essence éternelle dont le peuple hongrois serait le seul socle, la nation hongroise ainsi définie incluant les minorités hongroises d’autres pays européens, même si elles n’ont pas la double nationalité. C’en est donc fini de la notion de citoyenneté, remplacée par un essentialisme national, dont un universitaire a souligné dans Le Monde les déterminations (lire son entretien ici): «une passé mythifié» avec un refrain victimaire, «une profession de foi, au sens religieux du terme» avec un prémabule «littéralement intitulé « Credo national »» où un Dieu chrétien et la Sainte Couronne sont les référents primordiaux, tandis qu’en découlent le refus du pluralisme et de la diversité dans une quête obsessionnelle de l’unicité nationale (réduire les contre-pouvoirs, réduire la liberté des médias, favoriser le parti au pouvoir, imposer un ordre moral, etc.).

«Il est important de préciser que le premier ministre, Viktor Orban, n’est pas un fasciste», conclut cependant dans Le Monde cet universitaire, Paul Gradvohl, maître de conférences à l’université Nancy-II. C’est pourquoi il faut lire et relire, d’urgence, Robert O. Paxton: pour ne pas se rassurer à si bon compte. Pour en décider – fasciste ou non –, la jauge n’est pas dans une comparaison figée avec un passé révolu mais dans l’attention vigilante aux «passions mobilisatrices» qui sont au ressort de l’action fasciste. Or quelles sont-elles, selon Paxton qui les résume à la fin de son ouvrage?

D’abord, «un sentiment de crise d’une telle ampleur qu’aucune solution ne pourrait en venir à bout»; ensuite, «la primauté du groupe, envers lequel les devoirs de chacun sont supérieurs à tous les droits, individuels ou universels, et la subordination à lui de l’individu; la croyance que le groupe d’appartenance est une victime (…); la peur du déclin du groupe sous les effets corrosifs du libéralisme individualiste, des conflits de classe et des influences étrangères; le besoin d’une intégration plus étroite, d’une communauté plus pure…». Je m’arrête là: nul besoin de reprendre cette énumération dans son exhaustivité pour entendre l’alarme qui sonne dans notre actualité européenne, et dont la Hongrie est aujourd’hui l’un des laboratoires.

Crise grave, impuissance politique, crispation nationaliste, pureté identitaire, peur du déclin, passé victimisé, etc.: ces thématiques sont présentes dans notre débat français, de l’extrême droite bien sûr à la droite extrême, qui en est issue ou inspirée, cousine ou voisine, hélas installée depuis cinq ans dans la République par la présidence de Nicolas Sarkozy. «Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve»: nous avons fait nôtre ce vers du poète Hölderlin qu’aime citer Edgar Morin. Le sursaut démocratique que nous appellons de nos vœux ne viendra pas d’un sentiment rassurant ou apaisant mais, tout au contraire, de la conscience de la catastrophe qui menace. «Pour avoir suivi l’itinéraire du fascisme, concluait Paxton dans Le fascisme en action, nous savons qu’il n’a pas besoin de lancer quelque « marche » spectaculaire sur une capitale pour prendre racine: tolérer des décisions apparemment anodines touchant à la manière illégale de traiter des ennemis nationaux y suffit».

Que ce soit une allusion transparente aux crimes de l’administration Bush, dont Guantanamo est le symbole toujours en place, ne doit pas nous rassurer – parce que ce serait ailleurs géographiquement et hier historiquement. Car c’est maintenant en Europe, dont les gouvernements démocratiques sont impuissants face à la crise financière, que se joue la réponse à la question posée par l’historien: l’émergence d’un fascisme d’aujourd’hui.

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