Une obligation d’unité
Sieffert Denis, Politis du 13 novembre 2008
A force de l’entendre dire «encore un congrès, Monsieur le Bourreau» (version victimaire), ou «retenez-moi ou je fais un malheur» (version bravache), on se disait que ça n’arriverait jamais. Eh bien, c’est arrivé! Jean-Luc Mélenchon, incarnation depuis tant d’années de «l’aile gauche» du parti socialiste, a fini par claquer la porte de la rue de Solferino. Tout comme le député du Nord, Marc
Dolez. Et il convient de saluer leur courage. Il est vrai qu’une bonne moitié du chemin avait été parcourue, en 2005, pendant la campagne contre le traité constitutionnel européen. A l’époque déjà, Mélenchon avait su dire un double «non», au référendum et aux notables de son parti.
Certes, il n’avait pas été le seul, mais à la différence de certains autres (Laurent Fabius, Benoît Hamon, par exemple), il avait osé battre les estrades avec des communistes, des trotskistes, des Alternatifs, des chevènementistes et des Verts, en dissidence, comme lui. Et il avait pris plus que sa part à la victoire. Finalement, il lui aura fallu deux ans et demi pour mûrir sa décision. Celle-ci survient à la veille du congrès de Reims, mais, surtout, au lendemain d’un scrutin qui donne les clés du parti socialiste au courant qui lui est sans doute le plus étranger.
Un courant animé par Ségolène Royal, que Mélenchon, qui ne manque jamais de verve, qualifia un jour de «télévangéliste». Ce qui dit assez bien la place que l’ex-candidate occupe dans l’histoire du mouvement social.
Hélas, l’analyse que fait Mélenchon de l’évolution de son ancien parti est dramatiquement juste. Autour de Ségolène Royal, se retrouvent ceux qui sont les plus enclins à faire glisser le PS vers le centre, partisans avoués ou inavoués d’un parti démocrate et d’un bipartisme à la française. Si l’on précise que la motion arrivée en deuxième position s’inscrit dans la même perspective, il n’y a
en effet plus guère à espérer. Si l’on ajoute, enfin, que la troisième motion, celle conduite par Martine Aubry, est tellement composite qu’elle ne peut délivrer aucun message clair, et que la quatrième, celle à laquelle s’étaient ralliés Mélenchon et Dolez, est condamnée à cuisiner une alliance indigeste avec l’une des précédentes, on mesure l’ampleur du désastre. Un désastre légitimé cette fois par un vote de congrès. Bravo donc à Mélenchon et à Dolez d’avoir osé! Reste à savoir à présent ce qu’ils vont faire. «Appeler à la formation d’un front pour des listes communes aux européennes», répondent-ils. Fort bien. Mais aussi, et plus durablement, construire un «parti de gauche» sur le modèle de Die Linke en Allemagne. Et nous voilà soudain plus circonspect. Soyons clair: ce n’est sûrement pas la référence à Die Linke qui nous froisse. Nous avions nous-même pris cet exemple dans l’Appel de Politis, non pour l’ériger en modèle, mais comme un encouragement à croire que des choses nouvelles peuvent éclore dans les paysages les plus traditionnels. Ce qui nous conduit à nous interroger, c’est, disons, le risque d’un certain «unilatéralisme».
Beaucoup de choses bougent actuellement dans cet espace politique finalement très vaste qui va du PS à la LCR. Il est encore bien trop tôt pour parler de «recomposition». Mais il n’y a pas un courant, chez les communistes, et particulièrement ceux qu’on appelle les «communistes unitaires», chez les Alternatifs, chez les Verts, et même, bien sûr, au sein de la LCR ou des Collectifs antilibéraux, qui ne réfléchisse à l’hypothèse d’une recomposition.
Nous avons, pour notre part, proposé que la réflexion se fasse en commun, que des convergences soient recherchées, et nous avons offert un cadre pour cela. Marc Dolez est d’ailleurs signataire de notre appel. Il faut donc à toute force éviter aujourd’hui la stratégie du «qui m’aime me suive», qui ne conduirait qu’à la balkanisation de cet espace politique. A moins que l’on estime n’avoir rien
de commun avec les autres protagonistes de cette histoire. Mais ce serait vraiment trop triste. Car, n’en déplaise aux grincheux, des rapprochements sont en cours. La question du productivisme et de l’écologie, celle de la citoyenneté et de la république, celle du nucléaire, celle des formes de l’organisation politique sont prises à bras-le-corps dans des lieux de débats dont personne n’a le monopole. Et, par-dessus tout, la crise fait obligation morale de rassemblement et d’unité. Sur ce sujet au moins, il existe un large consensus de la gauche antilibérale. Où vont aller Mélenchon et Dolez? Une méchante loi de l’histoire murmure que ceux qui quittent la «vieille maison» – comme Blum aimait à nommer le Parti socialiste – n’ont plus de destin politique. De Jean Zyromsky,
qui rejoignit le PCF après-guerre, à Jean-Pierre Chevènement, en passant par les fondateurs du Parti socialiste autonome, en 1958, peu ou prou la «loi» se vérifie. Mais il existe une différence fondamentale aujourd’hui: la «vieille maison» est en train de tomber entre les mains de «promoteurs» qui nous parlent de «libéralisme» et de «gouvernance», et se proposent de raser les fondations,
pour installer un supermarché. Ce qui donne tout loisir à Mélenchon pour échapper aux «lois de l’histoire».