tribune libre parue dans l’Humanité du 24 avril 2008
par Jacques Perreux et Marc Laimé, journaliste,
Les dernières élections municipales ont permis de mettre en débat dans de nombreuses villes l’enjeu de la gestion de l’eau. Et beaucoup d’équipes, aujourd’hui en place, se sont engagées en faveur d’une gestion publique et citoyenne de l’eau.
C’est le cas à Paris, à Toulouse et dans de nombreuses villes de banlieue parisienne où le contrat du SEDIF (Syndicat des eaux de l’Île-de-France) qui regroupe 144 communes, confié à Veolia (anciennement Compagnie générale des eaux) depuis 1923, arrive à expiration le 31 décembre 2010. À l’issue du scrutin de mars, le rapport des forces politiques au sein du syndicat a sensiblement évolué en faveur de la gauche :
70 villes sont dirigées par la droite,
67 par la gauche, 3 par le Modem
et 4 par des équipes sans étiquette.
Si on retient l’hypothèse que, lorsqu’on est de gauche, on se prononce normalement pour une gestion publique de l’eau, et si on y ajoute que des élus de droite ont pris position pour cette option, il est clair qu’une véritable opportunité est ouverte. Elle ne doit pas être gâchée. Depuis des années, de nombreuses forces – associations, collectifs de citoyens et élus – sont mobilisées sur cet enjeu. Elles le font à partir de raisons diverses :
– des positions philosophiques, parce que l’eau, en tant que don de la nature et bien commun, se doit d’être gérée ensemble, avec comme seul objectif l’intérêt général ;
– des préoccupations sociales, parce que, évidemment, lorsqu’il n’y a pas besoin de rémunérer des actionnaires, toujours plus gourmands, le prix de l’eau facturé à l’usager est moins élevé ;
– des engagements écologiques, parce que, pour la protection de la ressource, de la biodiversité et de la santé, le bon principe de précaution est de ne pas déléguer la gestion de l’eau et de favoriser l’implication citoyenne ;
– des dimensions altermondialistes, parce que les peuples qui luttent pour maîtriser la gestion de leurs ressources trouveraient, face aux multinationales françaises de l’eau, un point d’appui dans la republicisation de l’eau en France même.
Ces forces, qui se mobilisent pour l’une de ces raisons ou pour toutes à la fois, ont aujourd’hui besoin de mutualiser leurs actions, de se coordonner pour établir une stratégie commune. Les succès des débats, l’écho des actions, l’impact des enquêtes de l’UFC-Que choisir sur les bénéfices astronomiques réalisés dans le domaine de l’eau, l’audience des émissions de radio et de télé consacrées à ce sujet, expriment des exigences fortes de nos concitoyens, qui doivent se traduire dans la direction et le mode de gestion du SEDIF. Les tenants du libéralisme perçoivent ce mouvement, s’en inquiètent et cherchent la parade. Les intérêts financiers en jeu sont considérables, et on peut supposer que dans le domaine de l’eau les lobbies ne sont pas moins actifs que dans celui des OGM, dénoncés dernièrement par des parlementaires de droite.
Par ailleurs, c’est le maire (Nouveau centre) d’Issy-les-Moulineaux,
André Santini, qui préside le SEDIF depuis vingt-cinq ans. On connaît sa propension à confier au privé la gestion de tout, y compris celle des ressources humaines de sa ville. On devine que ce n’est pas son amour pour le service public qui l’a fait devenir secrétaire d’État à la Fonction publique, étroitement associé au pilotage de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui traduit une remise en cause sans précédent du service public. Revendiquant ouvertement le cumul des fonctions,
André Santini est aussi le président de l’Agence de l’eau Seine Normandie, dont le vice-président est un dirigeant de Veolia… On a beau être une « grosse tête », outre la charge de travail, le cumul en question ne profite ni à l’eau ni à la démocratie.
Depuis l’été 2006 le SEDIF a engagé une étude du futur mode de gestion du syndicat, à l’expiration de l’actuel contrat qui le lie à Veolia. Les nouveaux délégués issus des élections municipales éliront leur bureau et leur président le 15 mai prochain. Ils seront consultés dès cet été sur le futur mode de gestion du syndicat, et il est prévu qu’ils décident dès octobre 2008 de choisir une gestion publique ou privée pour l’avenir. Cette précipitation soulève nombre d’interrogations. Ces délégués pourront-ils émettre un avis éclairé, en un laps de temps aussi bref, sur des dossiers d’une grande complexité technique ? La procédure mise en oeuvre depuis l’été 2006 présente-t-elle toutes les garanties d’objectivité ? Avant de se prononcer, il apparaît indispensable de se donner les moyens d’une véritable contre-expertise des différentes options de gestion. Les enjeux sociétaux et environnementaux de la gestion de l’eau en Île-de-France sont d’une telle ampleur qu’ils appellent un examen serein et objectif d’évolutions dont la maîtrise ne peut être abandonnée ni à un courant politique, ni à une coalition d’intérêts privés. Porteurs des attentes exprimées par leurs concitoyens qui les ont élus, les nouveaux délégués du SEDIF ont l’occasion de refonder un nouveau pacte démocratique et citoyen autour d’un enjeu essentiel. En lien avec une mobilisation qui monte en puissance (1), la refondation d’un nouveau pacte démocratique et citoyen autour de l’eau serait ainsi à portée de main.
(*) En charge de l’eau,
de l’assainissement, des énergies renouvelables et du développement durable.
(1) Une coordination regroupant citoyens, associations et élus attachés
à la promotion d’une gestion soutenable, démocratique et citoyenne du service public de l’eau est en cours de constitution en Île-de-France.
Par Jacques Perr
eux, vice-président du conseil général du Val-de-Marne,