Article de Olivier Chartrain paru dans l’Humanité du 23 Février. https://www.humanite.fr/societe/zfe/zones-faible-emission-comment-eviter-la-catastrophe-annoncee-783662
Sans mesures de justice sociale comme celles proposées par les élus communistes du Grand Paris, les zones à faibles émissions ne permettront pas de lutter contre les conséquences de la pollution atmosphérique.
C’est désormais connu : la pollution atmosphérique cause 40 000 morts par an dans notre pays, selon Santé publique France. Même si ce n’est pas la seule solution, ni une solution suffisante, la mise en place progressive des zones à faibles émissions (ZFE) dans les agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants constitue, sur ce plan, une avancée non négligeable.
Déjà en vigueur dans 11 métropoles, elles pourraient progressivement s’étendre aux autres. Pourtant, les élus Front de gauche du Grand Paris tirent la sonnette d’alarme : sans « décisions fortes », les ZFE pourraient tourner à la « catastrophe annoncée ».
Paris, après Lyon, va-t-elle reculer à 2024 l’interdiction des Crit’Air 3 ?
On a le sentiment que les villes concernées y vont à reculons. Fondées sur le classement de la vignette Crit’Air, les ZFE sont mises en œuvre selon des modalités variables. À Paris par exemple, alors que les véhicules classés Crit’Air 4 et 5 sont déjà interdits de circulation (sauf le week-end) depuis juin 2021, ceux classés Crit’Air 3 devraient l’être au 1er juillet 2023.
Mais on évoque de plus en plus l’éventualité de repousser cette échéance à 2024, comme vient de le décider la métropole de Lyon, pourtant dirigée par l’écologiste Bruno Bernard.
Des atermoiements qui font que « le drame sanitaire se prolonge », déplore Jacques Baudrier, adjoint (PCF) à la mairie de Paris, lors d’une conférence de presse organisée mardi 21 février avec Patrice Leclerc, maire PCF de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et président du groupe des élus Front de gauche à la métropole du Grand Paris.
A Gennevilliers, les Crit’Air 3, 4 et 5 sont presque la moitié des voitures de la commune, à changer d’ici 2024
Dans sa ville, explique ce dernier, « nous avons recensé 9 785 véhicules classés Crit’Air 3, 4 et 5 : c’est presque la moitié des voitures de la commune, à changer d’ici à 2024. À l’échelle du pays, cela concerne 7 millions de véhicules ». Les constructeurs ne pourront pas fournir, redoutent les deux élus. Mais surtout, poursuit Patrice Leclerc, « qui va devoir changer ? Les petits salaires, les artisans, ceux qui occupent des emplois dits “essentiels”, qui très souvent sont soit à des horaires, soit dans des zones mal ou pas desservis par les transports en commun ».
Or, « avec les aides à la conversion actuelles, tout le monde ne pourra pas changer » sa vieille voiture à pétrole contre une électrique. Dans les faits, les aides actuelles ne sont conséquentes que pour les ménages les plus pauvres, ceux dont les revenus sont au-dessous du Smic… mais pour acheter des véhicules neufs, dont le tarif, même avec ces soutiens, les met hors de portée des ménages concernés !
Attaquer les émissions de particules au freinage
On aboutit à ce paradoxe que les ZFE ne permettent pas aux salariés des classes moyennes et populaires d’accéder à des véhicules moins polluants, mais laissent rouler les grosses voitures récentes des plus riches et des flottes d’entreprise (60 % des ventes de voitures neuves), qui, à kilométrage équivalent, polluent plus que les petites. Or, reprend Patrice Leclerc, « l’incapacité à changer de véhicule, la difficulté pour se déplacer selon ses besoins, l’interdiction de fait d’entrer dans les villes… Tout cela va entraîner du ressentiment, de l’humiliation ». Des sentiments qui ne manqueront pas d’être exploités par l’extrême droite, redoutent ces élus. « Les couches populaires doivent être respectées dans la lutte contre le changement climatique et la pollution de l’air », insiste le maire de Gennevilliers.
« Nous ne sommes pas contre les ZFE, au contraire, expose Jacques Baudrier, mais nous faisons le lien avec les questions sociales qu’elles posent. » Et, pour le prouver, les élus Front de gauche alignent des propositions pour « réformer le système des aides et parvenir au renouvellement de 400 000 véhicules par an ».
Il s’agirait de faire intervenir beaucoup plus le critère de poids (pas d’aide au-dessus de 1,8 tonne ; accès aux aides pour les véhicules Crit’Air 1, y compris d’occasion, de moins de 1,3 tonne…), d’accroître la prime à la conversion pour viser « 10 000 euros pour la plus grande partie des ménages ».
Autre aspect : attaquer les émissions de particules au freinage, qui représentent désormais autant que les émissions à l’échappement (soit 40 %), en imposant des dispositifs de récupération – « qui existent et qui fonctionnent », insiste Jacques Baudrier – sur les véhicules neufs, et en favorisant leur installation sur les véhicules existants grâce à un surclassement Crit’Air. Pour financer tout cela, outre un renforcement du malus au poids (dès 1,4 tonne, puis 20 euros par kilo au lieu de 10 euros au-delà de 1,8 tonne), le groupe Front de gauche du Grand Paris veut affecter les recettes des autoroutes, qui reviendront à l’État à mesure de la fin des concessions.