Discours de Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, en Hommage à Jacques Brunhes
Mesdames, Messieurs,
Gennevilliers est en deuil.
Gennevilliers, la ville de toutes les jeunesses comme Jacques Brunhes a aimé l’appeler, notre ville, vient de perdre l’un des siens, l’un de ses acteurs de qui elle doit beaucoup.
Au nom de notre ville, de l’ensemble du conseil municipal, je présente toutes mes condoléances à Malika, son épouse, aux enfants Marianne, Olivier, Pierre, Antony, aux petits-enfants et arrière petits-enfants. Toutes mes condoléances à ses amis et ses camarades.
Ce mercredi 30 septembre, a été un coup rude quand Malika m’a téléphoné pour m’apprendre le décès de Jacques. Un coup rude personnel et collectif. Nous avons perdu un ami cher, attachant, fidèle. Nous avons perdu un bout de nous-mêmes tant il nous a appris et tant il comptait pour nous.
Malika et Jacques étaient venus nous retrouver, avec mon épouse, cet été sur notre lieu de vacances. Au milieu des débats pour refaire le monde, échanger sur nos lectures, échanger des plaisanteries pour se taquiner, au milieu des longs monologues de Jacques qui expliquait. Jacques m’avait dit « prépare ton discours, à 85 ans, ça ne devrait pas durer ». J’avais pris cela pour une plaisanterie.
Jacques avait quelques craintes avec la mort. Sa principale préoccupation, c’était de ne pas abandonner Malika, de ne pas la laisser seule. Cela le tourmentait, l’angoissait.
Jacques nous laisse donc seul, pour réfléchir à ce qu’il appelait les « petites manigances de la vie ».
Jacques remerciait ainsi « la vie », d’avoir, selon la définition du petit Robert du mot manigance, eu « ces manœuvres secrètes et suspectes, sans grande portée » mais qui dans sa bouche expliquait beaucoup de sa trajectoire personnelle.
D’abord celles qui ont amené le petit Cantalou à faire la fierté de son père et de sa mère en devenant instituteur puis professeur d’enseignement général au collège. Ces « manigances de la vie » qui l’ont fait adhérer au PCF en janvier 1953, puis devenir secrétaire de rédaction de la revue de réflexion des communistes en direction des enseignants : l’école et la Nation.
Puis qui l’ont conduit en 1962 comme professeur de Lettre-histoire-géographie au collège du Fond de la Noue à Villeneuve la Garenne après avoir été enseignant et habitant à Gennevilliers depuis 1958. Il a été un responsable communiste à Villeneuve la Garenne et à Gennevilliers. C’est la longue amitié avec notre regretté Dominique Frelaud et la famille Leguernevé qui commence.
En 2007, lors d’une réception publique en son honneur il s’interrogeait ainsi : « A quoi doit-on de devenir un élu local ou national ? Il serait prétentieux et illusoire de croire que c’est par son mérite personnel. De fait, l’alchimie est bien complexe. »
Et il soulignait l’apport d’autres personnalités comme Waldeck L’Huillier, Lucien Lanternier qui lui ont proposé de leur succéder sur le mandat de député et de maire, il ajoutait le rôle des relations de confiance tissées avec les citoyennes et les citoyens, l’importance d’être fier de ses convictions pour mieux s’ouvrir et agir avec celles-et ceux qui ne pensent pas comme soi.
Député de notre circonscription depuis 1978, il aimait préciser « en fait depuis 1967 comme suppléant de Waldeck », il faisait sienne cette formule de Jean Jaures qui proclamait « être l’avocat du peuple ». Il rajoutait tout le temps « ma force ne tient que de la vôtre » en parlant de la nécessaire mobilisation, expression, action des salariés comme des habitants.
L’alchimie est effectivement plus complexe que « les petites manigances de la vie ». Jacques Brunhes était un homme travailleur, exigeant, rigoureux, dans les mots et dans les actes. Ces collaborateurs et collaboratrices le savent : combien de discours réécrits, combien de mots ajustés, ciselés, vérifiés dans les courriers … ? C’était un homme de dossiers, à l’Assemblée nationale comme à la Mairie.
Avec lui, j’ai appris que le respect ne se gagnait pas par autoritarisme mais par le travail, par la capacité à connaître son dossier, savoir en débattre, savoir le défendre. Avec lui, j’ai appris qu’en plus du travail, il faut aussi rassembler les gens pour avoir de la force.
Maire de Gennevilliers, depuis 1987, réélu en 1989 et 1995, il a déployé ses talents d’animateur d’une équipe municipale au service de la population. Maire bâtisseur, maire respectueux du passé pour mieux se tourner vers l’avenir, il invitait à construire le Gennevilliers du troisième millénaire. Il défendait sans aucune réserve les intérêts des Gennevilloises et des Gennevillois. Conseiller régional puis Conseiller général, avant de laisser cette fonction à Jacques Bourgoin, Jacques Brunhes a toujours utilisé ses mandats pour défendre Gennevilliers et ses habitants.
En 1989, il déclare dans un édito « Nous sommes une ville de lutteurs. Nous avons le courage de ceux qui refusent la fatalité et la fierté de ceux qui veulent défendre à la fois leurs intérêts, leurs droits et leur dignité. Nous avons aussi la réputation d’être une ville de dialogue, une ville où l’on sait se rassembler pour se parler, s’écouter et s’entendre ». Il ajoute plus loin « Nous sommes ouverts à toutes les coopérations mais nous entendons bien rester les maîtres d’œuvre de notre avenir de nos mutations. Nous le réaffirmons clairement et avec force, Gennevilliers n’est ni à vendre ni à prendre. Tous ceux qui ont Gennevilliers au cœur comprendront ce langage ».
Il serait fastidieux de lister tout son apport pour notre ville, mais il faut en signaler quelques-uns :
- C’est Jacques Brunhes qui a gagné face à l’Etat,en 1997, la possibilité d’appliquer le quotient familial sur les activités culturelles comme le conservatoire, alors que le Préfet des Hauts-de-Seine attaquait la légalité de cette pratique tarifaire depuis 1989
- C’est lui qui a mené l’action pour la couverture de la A15 à coté du Village alors que l’Etat ne proposait qu’une tranchée ouverte
- Je me rappelle aussi, manigance de la vie, d’une intervention sur les voies d’eau à l’assemblée nationale qui lui a permis d’obtenir l’engagement du prolongement du métro.
- C’est sous son mandat, avec Jacques Bourgoin et Roland Muzeau, que de nombreuses réhabilitations de bâtiments ont été réalisées, que la rénovation du Luth s’est engagée, la défense du Port contre les marinas pieds dans l’eau du Livre blanc de Rocard.
- Ajoutons l’action pour la reconstruction du lycée, le soutien aux luttes des Chausson, des Snecma, des GM, des Delachaux, des Carbone Lorraine, des résidents du foyer du Port, …
- C’est avec lui que Saad Abssi et Mohamed Benali ont travaillé à la création du carré musulman dans notre cimetière.
- C’était le courage politique aussi, avec la libération du cimetière ancien, son déménagement pour permettre de créer le futur centre ville plusieurs décennies plus tard.
Jacques Brunhes était très fier de ses mandats, notamment maire et député. Fier d’être le premier questeur communiste depuis 1947. Fier d’être dans l’action sur le terrain et au national. Fier aussi de poursuivre son engagement militant anticolonial et internationaliste quand il préside le groupe d’amitié avec le Vietnam et fait venir à Gennevilliers Madame Binh, négociatrice aux accords de paix de Paris de 1973 et vice-présidente du Vietnam.
Ou encore quand il va être observateur international lors des élections en Afrique du Sud qui débouchent sur l’élection de Nelson Mandela.
Fier, lui le fils de chauffeur de taxi, de côtoyer les chefs d’État, les parlementaires, fier d’être secrétaire d’État au Tourisme dans le gouvernement Jospin, fier mais n’oubliant jamais pour qui et pour quoi il est élu. N’oubliant jamais qu’il faut savoir passer le relais, car ces fonctions personnelles, au fond, dépendent du collectif.
Il aimait reprendre l’expression d’un journaliste qui parlant de sa décision d’arrêter d’être maire en faveur de Jacques Bourgoin, écrivait : « A Gennevilliers, les passations de pouvoir se font dans la dentelle ».
Cela a été vrai avec Waldeck L’Huillier, Lucien Lanternier, Jacques Brunhes et Jacques Bourgoin. Le sens des responsabilités, du collectif, de l’intérêt public se marquent y compris dans le rapport personnel au pouvoir. Une belle capacité à passer le relais.
Il était fier de Roland comme député, avec qui, il a formé un duo d’ami et de responsables politiques, comme il était attentif à l’action d’Elsa Faucillon. Il me disait souvent c’est bien ce qu’elle fait, et je sais qu’il t’appelait Elsa notamment pour te dire du bien de ton journal de députée ou de ton action.
En 2001, au moment de passer l’écharpe à Jacques Bourgoin, il déclarait : « On dit souvent de ceux qui sont investis de fonctions électives qu’ils sont des hommes politiques. Je ne me sens pas concerné par cette définition. Je suis, depuis mes 18 ans, un militant qui a toujours rêvé « d’une réforme totale de l’ordre social existant » ainsi que l’écrivait le jeune Marx ».
Jacques c’était la fidélité à ses idées communistes.
Jacques c’était la fidélité à ses idées communistes. Pas comme un dogme, pas comme des certitudes, pas comme une boutique intangible, mais fidélité à cette idée qu’il faut remettre le monde sur ses pieds, changer l’ordre social existant. Cette fidélité n’était pas sans critique sur son propre parti, il a fait partie des refondateurs communistes, mais il ne cherchait pas à critiquer pour critiquer, c’était toujours avec une rigueur de pensée, une volonté d’être le plus efficace possible pour changer ce monde.
Il était attaché à la section de Gennevilliers du PCF, avec cette fierté disait-il, qu’ici, on pouvait être en désaccord entre communiste, sur les décisions du PCF et travailler ensemble pour le bien commun, capable de se rassembler sur l’essentiel pour Gennevilliers.
En juin 1995, Roland Muzeau, en proposant au conseil municipal de réélire Jacques Brunhes comme maire déclarait ceci. « Ce qui marque chez Jacques Brunhes, c’est aussi sa volonté de déléguer très largement, à tous ses adjoints, en pleine confiance, et je peux témoigner qu’en agissant ainsi, adjoints et conseillers municipaux, nous avons pu mener efficacement notre travail et maîtriser au mieux nos dossiers. »
Jacques Brunhes, qui pratiquait le patois cantalou, qui reprenait mes textes lorsque j’étais son collaborateur, insistait sur son nom : le h après le n, le h mouille le n, on dit « Brugnes », était passionné de lecture, de sports, notamment le rugby et le cyclisme, était surtout quelqu’un de doux et affectueux dans l’intimité. C’était un ami, qui avec Arielle, Martine organisait des repas pour se parler avec l’alibi d’un tour dans une brocante dans le Berry. C’était un bavard qui aimait nous raconter des histoires, des histoires vraies, celle de ses actions, de ses rencontres, de ses passions. C’était un tendre qui appelait autant pour nous parler que pour savoir si tout allait bien.
C’était un homme, avec ses qualités et ses défauts qui nous aura montré beaucoup de ses qualités. Il va falloir maintenant nous habituer à son silence, lui qui aimait tant parler.
Merci Jacques.
un très bel hommage, plein d’émotions, et surtout suivi par une grande assistance très émue.