Intervention de Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, le 19 juin 2019 à Bagneux, initiative organisée par Patrick Bouchain, la Preuve par 7
La ville est au croisement de nombreuses questions politiques, certainement parce que la ville est une construction politique.
Les enjeux environnementaux, sociaux, économiques font et défont un droit à la ville selon les priorités politiques des maires mais aussi de leur capacité, ou volonté de ne pas laisser la loi du marché façonner la ville.
Pour une ville comme Gennevilliers, il s’agit de réécrire et écrire des pages qui ne poursuivent pas une tradition politique productiviste tout en poursuivant une priorité sociale et développant une préoccupation environnementale. Il s’agit de prendre en compte au moins deux grands défis :
1. Faire en sorte que nos enfants et petits enfants puissent habiter dans une ville populaire au cœur de la Métropole du Grand Paris dans 10, 20, 30 ou 40 ans. Que les salarié-es ne soient pas chassé-es, interdit du droit à la Métropole.
2. Qu’il le fasse de façon choisit et avec plaisir, parce la ville de Gennevilliers aura su contribuer et participer à inventer un nouvel art de vivre en ville.
Notre couleur politique nous invite à vouloir changer la vie, changer le système, dans notre pays et dans le monde. Je suis persuadé que cela sera possible en créant des majorités d’idées à l’échelle nationale et internationale. Je suis aussi persuadé qu’il ne faut pas attendre que tout le monde soit convaincu pour avancer. A l’échelle locale nous pouvons expérimenter de nouveaux modes de vie, de nouveaux rapports au monde et à la nature. Je crois aussi en l’exemplarité.
C’est la raison pour laquelle nous encourageons par exemple l’agriculture urbaine et le développement de l’économie sociale et solidaire à Gennevilliers. Une ESS qui ne soit pas simplement une forme de délégation de service public moins couteuse, mais une forme d’entreprise non capitaliste, qui produit de la richesse et qui ne fait pas de l’accaparement et de l’accumulation de cette richesse un objectif. Une ESS qui produit de la valeur d’usage et de la valeur d’échange équitable.
On a des bouts de réussite sur ce sujet à Gennevilliers. Mais nous étions en échec à penser autrement la Halle des Grésillons. La rencontre avec Patrick Bouchain, concoctée par le directeur du Théatre, Daniel Jeanneteau, a permis d’oser le pari de faire autrement que d’habitude.
Autrement dans la conception du projet, autrement dans la conception de l’objet architectural, autrement dans la gestion du temps, …
Nous souhaitons développer dans la Halle des Grésillons avec l’aide de la Preuve par 7, des activités économiques, utiles aux habitants de la ville et de la région par leurs productions. Développer un lieu producteur de lien social, producteur de valeurs humaines qui donnent à voir un monde où chaque être humain, la nature et l’environnement sont respectés. Cela nécessite donc d’être économe en ressources, attentif aux conditions de production, de rémunération comme de prix. Bref, il s’agit de produire de la valeur autrement.
Ce que l’on produira devra avoir du sens, répondre à des besoins raisonnables, à un prix équitable pour le consommateur comme pour le producteur. C’est-à-dire qui assurant au producteur un salaire décent et au consommateur de ne pas payer plus que ce qui est nécessaire pour produire le bien et le service dans des conditions équitables et durables.
Ce qu’il y a d’intéressant avec la Preuve par 7, c’est que l’on fait plusieurs paris ensemble :
1. Etre meilleur que le marché. Créer dans la Halle des Grésillons des activités économiques et sociales durables alors que le marché n’arrive pas à proposer autre chose que de la spéculation immobilière
2. Faire le pari de l’intelligence collective. Nous n’avons pas de projet tout fait, seulement des objectifs et des contraintes économiques et de sécurité du bâtiment. Nous allons questionner les habitants du quartier, de la ville sur ce qu’ils souhaiteraient. Nous allons expérimenter, avec des porteurs de projets de la ville, de la région des activités économiques, sociales et culturelles.
3. Faire le pari de modifier les rapports des habitants à un morceau de ville en rendant vivant ce lieu déserté. Il s’agit de modifier les rapports au quartier de cette Halle pour en faire un lieu attractif qui redynamise la place Indira Gandhi à l’arrière, crée du lien avec le théâtre. Bref, remettre de l’usage en commun dans ce bout de quartier.
4. Faire le pari de la frugalité heureuse. Il s’agit de pouvoir faire du durable en expérimentant l’éphémère, d’économiser des ressources, des moyens pour mieux mettre en valeurs, l’objet des projets, des intentions humaines, l’intérêt général et tout cela sans subventions de fonctionnement.
Pour ma part, j’ai plutôt envie que l’on développe à côté du Théatre et à ses côtés, des activités économiques autour de la « bouffe responsable ». Production de repas, vente d’aliments, promotion et échanges de savoirs, soutien à des porteurs ou porteuses de projets, promotion de la qualité plutôt que de la standardisation des produits…
Mais cela doit être confronté aux envies des porteurs de projets, à la réalité des possibles.
Cela pourrait être un lieu de brassage social, de cultures, de connaissances, utiles pour développer du lien social dans le quartier. Un lieu de rencontre pour passer un bon moment entre habitants du quartier, de la ville mais aussi des villes autour.
Un lieu à la fois autonome et complémentaire des activités culturelles du Théâtre. Un lieu de découverte de passions des personnes qui produisent ici un bien ou un service, un lieu de respect des personnes productrices de biens et de service, de promotion de leurs savoirs faire, de leur volonté d’être utile dans la société, utile pour répondre aux besoins des autres. Bref un lieu qui par lui-même, redonne du sens à la vie en société pour chaque individu considéré comme une personne.
Le seul problème, c’est que l’on a tellement hâte de vivre cela, que l’on risque de ne pas laisser du temps au temps pour faire de belles rencontres, expérimenter de belles idées, …
Nos enfants sont déjà en train de découpler le plus et le mieux, dans leur rapport au travail, leur vie familiale, leur rapport au monde et de façon encore insuffisante dans leur rapport à la consommation. Pour construire des projets audacieux dans la Halle des Grésillons, réussir tous nos paris, nous allons donc devoir savoir en révolutionnaire, « écouter l’herbe qui pousse » (Karl Marx) et l’aider à pousser.