Voeu adopté par le Conseil municipal de Gennevilliers du Mercredi 26 septembre 2018
Régulièrement dans l’actualité́ surgissent des débats sur les vices de l’assistanat ou sur les problèmes causés par la « fraude sociale » des bénéficiaires de la protection sociale. Or depuis plusieurs années, des élus, des chercheurs en sciences humaines et sociales ainsi que des professionnels du secteur social ont mis en évidence l’existence de phénomènes significatifs de non-recours des bénéficiaires à leurs droits sociaux.
Ainsi, par exemple, chaque année plus de 5 milliards d’euros de Revenu de solidarité́ active (RSA) ne sont pas versés à des personnes qui pourraient ou plutôt devraient en bénéficier.
Pourquoi ? Tout simplement parce que, le plus souvent, elles ne le demandent pas. Le non-recours aux droits et aux services désigne le fait qu’une personne remplissant pourtant les conditions d’obtention d’un droit social ou d’une prestation liée à un service public ne va pas en bénéficier.
Le non-recours peut être divisé en trois catégories :
• La non-information, la non- demande et la non-réception. Tout d’abord, pour faire valoir ses droits, une personne doit savoir qu’elle en a. Or une des premières causes du non-recours est l’absence de connaissance des droits et services liés à la protection sociale. C’est le non-recours par non-information, beaucoup plus répandu qu’on ne le croit : ainsi, en 2014, selon les départements, entre 57 % et 70 % des personnes pouvant bénéficier de l’Aide à la complémentaire santé́ (ACS) n’en ont pas fait la demande. La principale raison invoquée est l’ignorance de l’existence de ce dispositif d’aide au financement mis en place par les mutuelles. Ceci est d’autant plus grave pour les personnes concernées que l’obtention de l’ACS déclenche des droits connexes comme l’accès aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité́, beaucoup plus avantageux que les tarifs « normaux ».
• La deuxième cause du non-recours est la non-demande. Car pour faire valoir ses droits, une personne doit accomplir un ensemble de démarches administratives. Un droit ne se donne pas automatiquement, il s’obtient par la preuve d’une éligibilité́ autrement dit en démontrant que l’on remplit les critères demandes. Cela nécessite d’avoir avec soi tous les justificatifs, ce qui est problématique, par exemple, pour les personnes – le plus souvent des femmes – contraintes d’abandonner le domicile conjugal pour se mettre à l’abri de la violence. Il est aussi nécessaire d’accepter les conditions requises pour bénéficier du service proposé. Or cela n’est pas évident dans le cas d’hébergement d’urgence des Sans domicile fixe (SDF), les lieux qui les accueillent pouvant être insécurisant (violences, vols). Par ailleurs, pour effectuer les démarches, il vaut mieux maitriser non seulement la langue française (or selon l’INSEE 7 % de la population française adulte est en situation d’illettrisme), mais aussi le numérique (plus de 20 % de la population en est encore privée, toutes causes confondues).
• Enfin, pour faire valoir ses droits, une personne qui a fourni les formulaires et justificatifs doit encore attendre que l’administration traite son dossier, puis garantisse le bon fonctionnement du service sollicité. Lorsqu’il se produit un dysfonctionnement, on entre alors dans « le non-recours par non-réception ». C’est le plus difficile à chiffrer. Le cas le plus connu concerne la santé et la non-réception de la Couverture maladie universelle (CMU), le droit pour tous d’accéder à une prise en charge de ses soins (aujourd’hui remplacée par la Protection universelle maladie, PUMA). Les personnes ayant eu connaissance de l’existence de ce droit, ayant sollicité́ le bénéfice du dispositif et ayant vu leur éligibilité́ confirmée ont pu se voir refuser par des médecins l’accès à la médecine de ville. Une étude par testing conduite à Paris montre un refus de 4,8 % chez les généralistes, de 41 % chez les spécialistes et de 39,1 % chez les dentistes.
Les élus de Gennevilliers demandent à l’état de se concentrer sur le processus social à l’œuvre dans la relation entre usagers et administration. Le non-recours révèle des inégalités sociales. L’accès aux droits et aux services est plus difficile pour les personnes les plus précaires. On retrouve en effet dans la précarité́ les inégalités de genre, de revenu, d’âge, de niveau d’étude, d’emploi. « Obtenir ses droits? Il faut en avoir les moyens ! » soulignait, dès 2011, l’Observatoire des inégalités. C’est collectivement, en tant que société́, que nous rendons visibles, ou non, des phénomènes sociaux, mais aussi des acteurs individuels et collectifs. Or le regard collectif rend ici visibles ceux qui sont désignés comme assistés, c’est à-dire les personnes faisant valoir leurs droits. On comprend mieux alors le non- recours par non-demande. La peur de la stigmatisation, d’un jugement social négatif fait partie des raisons invoquées dans les enquêtes par les personnes qui renoncent volontairement à leurs droits.
Sur notre ville, c’est principalement par le biais du Centre communal d’action sociale (CCAS) que se sont engagées des actions de lutte contre le non-recours. Pour progresser dans cette logique les élus Gennevillois souhaitent que la démarche partenariale expérimentale de « territoires 0 non recours » s’accompagne du déblocage par l’Etat des moyens nécessaires permettant la coordination des acteurs pour une meilleure information des personnes sur les droits et accompagnements dont elles disposent.
Ces dispositifs reposent en fait sur notre politique locale volontariste. La lutte contre le non- recours pose donc aujourd’hui la question de l’Egalité entre tous les territoires, et derrière elle entre tous les bénéficiaires.
En conséquence les élus du conseil municipal de Gennevilliers demandent à l’état de fixer aux caisses et organismes versant des prestations sociales des objectifs de lutte contre le non recours.
Parallèlement, les élus du conseil municipal de Gennevilliers considèrent qu’il est nécessaire de progresser vers l’attribution automatique des prestations sociales et ce tout particulièrement en profitant de la mise en place en 2019 de l’impôt à la source.
Il demande enfin que l’Etat débloque les moyens nécessaires afin de faire reculer le nombre de personnes théoriquement éligibles à des aides mais qui ne les demandent pas.