Intervention du maire de Gennevilliers au Moussem

Patrice Leclerc
Gennevilliers

Moussem Festival de l’Immigration et de la Tricontinentale (ATMF)- Mot de bienvenue de Patrice Leclerc – 6 janvier 2018

Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à Gennevilliers pour l’ouverture du Moussem Festival de l’Immigration et de la Tricontinentale. Nous avons répondu positivement à la demande de l’ATMF, car il s’agit du renouvellement d’une tradition qui est d’accueillir le Moussem à Gennevilliers, mais aussi car ce festival célèbre la fraternité, le respect des cultures dans un but : celui de la dignité des femmes et des hommes, des peuples, dans leur diversité.

Vous êtes dans la transmission de la mémoire des luttes des immigrés, de leurs luttes pour l’égalité et pour la dignité, pour la vie et pour l’avenir. Cette transmission dont nous avons encore besoin aujourd’hui pour répondre à des interrogations d’actualité.
Contrairement à Manuel Valls, nous pensons qu’il est important d’essayer de comprendre, d’expliquer. L’histoire est une des clés de compréhension, de l’explication du monde d’aujourd’hui pour pouvoir changer le monde et non l’excuser ! Expliquer, ce n’est pas accepter, ni excuser, comprendre c’est se donner les moyens d’agir. A la passion qui nous pousse à vouloir changer le monde, comme nos anciens de la Tricontinentale, nous voulons allier la raison pour essayer d’être efficace dans nos actions.

Donc bienvenue à Gennevilliers, notre ville populaire, que le hasard a placé au centre du monde. Ici, nous essayons de ne pas oublier notre histoire pour construire notre avenir.

C’est ici, alors que nous donnions le nom de Zucman et Gabison au centre de planification familiale et PMI en novembre dernier que la fille de Madame Zucman, entourée de toute sa famille a pris le micro pour « remercier la population et la police de Gennevilliers d’avoir protégé ses parents contre les nazis ». A l’époque, on appelait les personnes de ma couleur politique : les judéo-bolcheviques !

C’est ici, alors que la guerre d’Algérie faisait rage, que la communauté catholique a protégé le dirigeant du FLN : Saad Abssi.

C’est ici, que les patrons de l’industrie automobile ont fait venir et maltraité des milliers de Marocains, vivant dans des bidonvilles et s’épuisant sur les chaînes.

C’est ici, qu’une association islamo-chrétienne s’est créée dans les années 80 pour développer la connaissance mutuelle et le vivre ensemble, organisant des débats de société entre croyants et non croyants.

C’est ici qu’il nous faut agir autant pour la liberté de religion que contre les pressions religieuses d’où qu’elles viennent, que nous rassemblons contre le racisme et l’antisémitisme.

C’est ici que nous avons manqué le rendez-vous entre la gauche et les cités, comme l’a décrit le sociologue Olivier Masclet.

C’est ici, qu’a été enterré un des frères Kouachi, et que nous avons pu mesurer combien ces massacres commis au nom d’une religion font peser la honte, le mal-être de milliers de musulmans qui ne se reconnaissent pas dans cette horreur terroriste.

C’est ici que nous mesurons les processus d’humiliation à l’œuvre en direction des jeunes des quartiers populaires. Une double humiliation.

Humiliation du fait de l’appartenance aux couches populaires, celles qui sont rendues invisibles et que l’on veut désincarner de toute dynamique sociale.
Dévalorisée médiatiquement, politiquement, socialement, historiquement, l’appartenance sociale de la jeunesse des quartiers devient un héritage vide de sens, qui ne permet pas l’estime de soi et de son groupe social.

Humiliation par l’origine des parents étant une des raisons de la remise en cause quotidienne de leur appartenance à la communauté nationale (contrôle au faciès, discriminations à l’emploi, racisme…) se double de leur appartenance religieuse (ou supposée) de confession musulmane. « La guerre des civilisations » de Bush a ses traductions concrètes dans l’espace national : le musulman devenant la figure de l’étranger, du migrant invasif, voire de l’ennemi intérieur par assimilation au terrorisme.
Et maintenant on appelle les personnes de ma couleur politique : les islamo-gauchistes !

La double humiliation à l’œuvre a un objectif : bloquer la capacité d’intervention sociale et politique des couches populaires, de la jeunesse. Elle produit du ressentiment, de la méfiance, de la haine de soi et de l’autre.

C’est dans cette continuité historique, dans ce contexte que nous réfléchissons et agissons pour changer le monde. L’histoire nous aide, mais le présent doit être bien regardé pour comprendre et agir. « Il faut savoir écouter l’herbe pousser » disait Marx.

La jeunesse développe aussi des nouveaux moyens d’agir qui donnent sens à leur existence, moyens que nous « plus âgés », n’avons pas entièrement saisis.
Leurs rapports au monde, à la globalisation, à l’information et à leur existence nourrissent des comportements de rupture avec la société dans sa conformité et nous les retrouvons dans des lieux et espaces-temps inattendus : ils réinvestissent le champ du religieux, de la solidarité, de la géopolitique pour redonner du sens à leur existence singulière, pour exister et se construire une histoire personnelle, chercher à transformer le monde. Plutôt que de s’enfermer dans une incompréhension mutuelle, il faut construire des passerelles.

Cela nous amène à penser des axes de travail qui relèvent des valeurs de dignité et de respect. Il nous paraît indispensable, en tant que responsables politiques, de développer des actions concrètes et prises de position qui permettent d’inscrire dans l’actualité le combat pour changer le monde, changer la société en prenant appui sur ces valeurs.

C’est aussi pour cela que j’essaye de me battre, avec les Gennevilloises et les Gennevillois, pour que notre ville populaire continue à se développer, s’embellir sans chasser personne.
A créer les conditions pour que nos enfants et petits enfants puissent continuer à habiter ici, au cœur de la Métropole du Grand Paris et n’en soient pas chassés à cause de la spéculation foncière et immobilière, par le manque de logements sociaux.

C’est pour cela que nous essayons de faire en sorte que chacune et chacun soit fier de ses origines, de ses parents, de lui-même ou d’elle-même, pour pouvoir s’ouvrir au monde. Je suis un enfant de travailleur de chez Renault, avec une culture
paysanne catholique normande.
J’en suis fier et cela me permet de tendre la main à toute et tous pour lever le poing ensemble.

Nous agissons pour que, quelle que soit sa génération, sa religion ou non-religion, chaque Gennevilloise et Gennevillois se pense, fort de sa personnalité, comme un des égaux appartenant à la même communauté gennevilloise, à la même classe sociale rassemblée autour d’une question simple mais essentielle à notre époque : quelles sont les conditions de notre bonheur et de notre épanouissement individuel et collectif?

Merci de votre attention et bons travaux.

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