Inauguration de l’allée Ben Barka – Discours de Patrice Leclerc – 28 octobre 2014
Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur pour la Municipalité d’inaugurer aujourd’hui l’allée Ben Barka en la présence de Bachir Ben Barka, fils de Mehdi Ben Barka et en votre présence à tous.
Nous mettons en œuvre aujourd’hui, une promesse qu’avait fait Jacques Bourgoin maire à l’ATMF dans le cadre de notre travail sur la mémoire. Jacques Bourgoin est un homme de conviction et d’engagement, nous tenons cet engagement.
Il y a des noms qui traversent l’histoire et qui sont des symboles intemporels et des exemples pour nous tous. Des noms qui ravivent la flamme de la liberté et du combat juste pour une société d’hommes égaux et libres.
Mehdi Ben Barka appartient à ces hommes d’honneur et de lutte.
D’une famille de petits fonctionnaires, Mehdi Ben Barka a fait des études de mathématiques à Rabat et devient professeur de lycée.
Proche du Palais, il enseignera au Collège royal. Parallèlement, il s’engage en politique contre le protectorat français sur le Maroc. Ses idées et sa personnalité ont marqué son époque. Il a été le plus jeune des signataires du manifeste de l’Indépendance en 1944 et un des nationalistes les plus en vue du parti Istiqlal, qui luttait pour l’indépendance du Maroc.
Il fonde en 1959 l’Union nationale des forces populaires, principal parti de gauche opposé au régime royal. En 1961, Hassan II monte sur le trône et annonce vouloir faire la paix avec son principal opposant exilé, qui rentre au Maroc en mai 62.
Accusé ensuite de complot, et condamné par contumace, Ben Barka s’exile d’abord à Alger, où il rencontre Che Guevara, Amilcar Cabral et Malcolm X.
Puis il va au Caire, Rome et Genève et La Havane tendant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la conférence tricontinentale. En 1964, Ben Barka est grâcié par Hassan II. En avril 1965, il bénéficie de l’amnistie générale.
Le 29 octobre 1965, devant la brasserie Lipp à Paris, Ben Barka est enlevé et son corps n’est jamais retrouvé. Après 49 ans d’une enquête judiciaire qui n’est toujours pas terminée, l’implication des pouvoirs politiques marocain et français dans cet enlèvement reste controversée.
Le gouvernement actuel devrait et peut lever le voile sur cette affaire. Le secret Défense devrait être levé pour que la famille et surtout le juge d’instruction puisse avancer dans son enquête. De la même façon, Madame Taubira, ministre de la justice doit cesser de bloquer les mandats d’arrêt internationaux concernant l’affaire Mehdi Ben Barka. Ce serait se mettre du coté de la justice et de la vérité.
Mehdi Ben Barka aura marqué la vie politique marocaine et la scène internationale d’un Tiers-Monde à l’ère de la décolonisation.
Profondément alerte sur les problématiques du Maghreb, il a pris conscience très tôt des obstacles à surmonter pour sortir son pays du sous-développement, qu’il s’agisse de la nécessité d’une réforme agraire et de la promotion de l’industrie, du rôle moteur de l’éducation ou de la nécessaire émancipation des femmes, ou enfin de la sortie d’une société féodale et son entrée dans une modernité, avec une meilleure distribution des richesses.
Cette acuité politique et sociale rappelle celle des révolutionnaires de son époque, dans un contexte de contestation des puissances et de la recherche d’une alternative pour les peuples en voie de développement.
Au-delà des polémiques au sujet de sa disparition, il était important pour nous d’honorer la mémoire d’un homme qui a eu des ambitions pour le peuple et le sens de la responsabilité politique face à cette mission.
Permettez-moi de lire ce passage éloquent de Zakya Daoud, journaliste et écrivaine franco-marocaine, sur la personnalité de Mehdi Ben Barka :
« Il est profondément imprégné par son milieu, populaire et urbain, de la médina de Rabat où il roulait sur une bicyclette rouge, il a forcé, avec pugnacité, les portes de l’école qui se sont finalement ouvertes pour lui, tout en militant depuis l’âge de quatorze ans, passionné pour la libération de son pays, il a acquis une grande culture, tant arabo-musulmane qu’internationale et ouverte sur le monde, au point que ses amis, des intellectuels français de renom, ont déclaré au procès de ses présumés assassins qu’il aurait pu être un des mathématiciens les plus brillants de sa génération. Mais c’est la politique qui aura d’emblée sa préférence. Cette politique, il ne la conçoit qu’au service de la libération du Maroc et du Maghreb ».
Demain, 29 octobre, les ONG des droits de l’homme marocaines et internationales, les associations de Marocains résidant à l’étranger, des politiques marocains et français, seront rassemblés à Paris, pour commémorer le 49ème anniversaire de la mystérieuse disparition de Mehdi Ben Barka.
Ce soir à Gennevilliers, par l’inauguration de cette allée, la mémoire de Mehdi Ben Barka ne sera plus occultée. Ses combats, encore d’actualité, ont toujours appelé la participation des populations à la gestion publique. Cette vision démocratique, nous la partageons et nous la défendons.
Ce soir, nous rendons hommage à un homme dont les convictions vivront toujours. La question de la disparition relève d’une blessure continue qui ne se referme pas. Je pense à la famille Ben Barka et à toutes les familles qui souffrent encore dans la quête de la vérité pour faire le deuil d’êtres chers, disparus pour des raisons politiques
Le poids des disparus pèse sur les familles. Tant que justice n’est pas rendue, le poids en devient plus lourd. C’est par l’initiative populaire et le devoir de mémoire que les choses peuvent bouger.
Nous espérons que les zones d’ombres du dossier seront levées avec la collaboration des pouvoirs politiques français et grâce au travail de l’avocat de Mehdi Ben Barka, maître Maurice Buttin. C’est un travail courageux que celui de chercher la vérité pour se réconcilier avec l’Histoire et fermer la porte de la polémique et du doute.
Enfin, je vous invite à nous retrouver à 20h, dans la salle du Conseil municipal, pour le débat sur les disparitions forcées, en présence de Bachir Ben Barka et de l’avocat de la famille, maître Maurice Buttin.
Merci.
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