Pour un renouveau de la démocratie territoriale dans une République unie et solidaire
Nous, 200 élus de tout le territoire national, rassemblés à Paris le 19 février 2013 et signataires de ce texte, lançons un appel au débat et à la mobilisation la plus large dans le pays pour infléchir largement « l’Acte III de la décentralisation » qui vient en débat au Parlement. Ce projet important ne sort pas des ornières de la précédente réforme territoriale initiée par Nicolas Sarkozy en 2010 dont nous demandons toujours l’abrogation.
Oui, il faut une réforme des institutions ! Mais pour qui ? Les collectivités jouent un rôle essentiel pour développer les droits de tous à se former, à se loger, à se déplacer, à se soigner, à se cultiver. Elles contribuent à relever les défis économiques, industriels, ceux de la transition énergétique. Il faut une réforme qui permette de combattre les fractures territoriales béantes, les inégalités sociales, une réforme qui réponde aux besoins humains, sociaux, écologiques d’aujourd’hui, tant dans les grandes agglomérations que dans le secteur rural. Il faut une réforme qui permette aux citoyens d’être enfin au centre des enjeux et des décisions.
Depuis trois ans, nous nous sommes mobilisés dans la diversité de nos sensibilités politiques et nous avons largement mis en difficulté la réforme territoriale de décembre 2010. En est-on sortis ? Le « conseiller territorial » a été supprimé et la clause de compétence générale des collectivités territoriales rétablie en principe, mais sous condition… En revanche, les regroupements forcés en grandes intercommunalités se poursuivent sous la houlette des préfets. L’« acte III de décentralisation » ne rompt pas avec cette logique. Aux cotés de mesures d’intégration spécifiques pour Paris, Lyon et Marseille, il crée d’autres métropoles dans des territoires si nombreux que cela impacte près de 40% de la population …
Il concentre sur ces métropoles un nombre très important de compétences, remettant ainsi en cause le rôle de chaque niveau de collectivités territoriales. Il attribue aux Régions énormément de pouvoirs qui rentrent par ailleurs en concurrence avec les métropoles. Il vide les Communes, les Départements de leur capacité d’initiative, en mettant en place des schémas contraignants hors desquels les cofinancements seront impossibles. Faute d’une réflexion sur un aménagement du territoire équilibré, le projet de loi porte dans ses fondements l’éclatement de l’égalité républicaine : Il vaudra mieux vivre dans des territoires riches et pleins d’avenir que dans des régions définies comme pauvres et archaïques !…
Dans le projet d’acte III, l’État se défausse une nouvelle fois de ses missions nationales devant garantir l’égalité sur tout le territoire : Il se désengage du développement économique et de son corollaire d’actions en faveur de l’emploi ; 60% des « Trains d’Equilibre du Territoire » nationaux sont transférés aux régions, 90% dans les 8 régions du grand bassin parisien ! Le texte prévoit de faire piloter par les régions la mission de l’orientation professionnelle et les CIO. Il prévoit aussi de transférer la responsabilité du handicap aux départements. Avec la réforme du temps scolaire, le gouvernement organise un nouveau découpage des prises en charge entre les communes et l’État, pour les missions quotidiennes d’enseignement….
Ces nouveaux transferts provoquent des inquiétudes, des incompréhensions, de la colère.
Alors que le monde économique et l’État participent de moins en moins au financement des collectivités, la mise en place des péréquations censées aider les territoires démunis ne se fait plus guère qu’entre les collectivités elles-mêmes et exacerbe les oppositions et la concurrence entre territoires.
Le gouvernement programme une réduction des dotations d’État aux collectivités pour les trois ans à venir de 4 milliards et demi : du jamais vu ! A cela s’ajoute deux milliards de charges imposées : relèvement du taux de TVA, réforme du temps scolaire, hausse des cotisations à la CNRACL, cofinancement des politiques nationales, …
Une nouvelle RGPP se met en place avec un autre nom : la Modernisation de l’Action Publique… Les collectivités deviendraient des variables d’ajustement au nom du remboursement de la dette publique, alors qu’elles n’en sont pas responsables. L’acte III prévoit l’encadrement et le contrôle de la dépense publique, mettant en œuvre la baisse des investissements publics des collectivités. C’est leur capacité à contribuer à une relance de l’activité économique en répondant aux besoins des habitants qui est mise en cause. Il n’y aura pourtant pas de sortie de crise sans les collectivités territoriales qui génèrent 70% de l’investissement public.
Besoin d’un véritable débat
Au nom de la parité, avec le redécoupage des cantons et leur extension, le gouvernement introduit une curieuse réforme du scrutin départemental qui tourne le dos à la proportionnelle et au pluralisme de la représentation. Pourtant celle-ci est entrée en vigueur sous une forme ou sous une autre dans tous les autres scrutins locaux. De plus, la désignation par « fléchage » des délégués communautaires pose problème, puisque les Communes perdent l’initiative et la maîtrise des coopérations intercommunales.
Nous sommes loin du « pacte de confiance » entre l’État et les collectivités annoncé par le Président de la République lors des Etats-Généraux du Sénat.
Et peut-on réussir une réforme de cette importance dans la précipitation ou la contrainte, hors d’un débat public à la hauteur, impliquant largement les citoyens, les élus ? De même il est essentiel que ce débat associe les grands absents de la loi, c’est-à-dire les 1,9 millions d’agents territoriaux, les trois millions d’agents des fonctions publiques d’État, qui sont un véritable atout à préserver et à développer et dont le statut doit être renforcé.
Qui peut croire que l’intérêt général soit bien porté par une recentralisation et une concentration des pouvoirs locaux, au sein d’intercommunalités de très grande taille ou de métropoles intégrées, nouvelles collectivités de plein droit qui se verraient transférer l’essentiel des compétences locales ? Nous refusons ce « centralisme » présenté comme la seule réponse possible contre le « localisme ». Les égoïsmes locaux doivent être combattus sur le terrain politique et par des moyens incitatifs ou coercitifs que la loi peut mettre en place. Car rien ne garantit que des gouvernances d’élus au « troisième degré » soient garantes à priori de l’intérêt général.
Pour un renouveau démocratique dans une république unie et solidaire !
Nous disons à l’inverse que la réponse aux défis d’aujourd’hui passe par un renouveau démocratique profond de nos institutions, à contrario de tous les processus qui, à tous les niveaux, ont organisé la mise à la marge des citoyens, le dessaisissement progressif de leur pouvoir. C’est pourquoi, l’instauration de la proportionnelle, la citoyenneté de résidence avec le droit de vote des étrangers aux élections locales, et l’institutionnalisation de la démocratie participative à tous les niveaux, sont des changements à décider sans délais.
Un État qui s’engage et joue son rôle !
Le rôle de l’État doit être repensé : Non réduit à ses
missions régaliennes, il doit assumer et impulser des politiques publiques nationales en faveur du développement, de l’égalité territoriale, de la cohésion sociale et de la continuité territoriale. Pour y parvenir, il doit impulser un véritable partenariat avec les collectivités territoriales et non, comme le prévoit le texte, laisser place à des « pactes de gouvernance » loin des citoyens, instituant la tutelle de « grandes entités territoriales » sur d’autres collectivités, sur les Communes en particulier, et soumettant la compétence générale de ces collectivités à l’adoption de schémas contraignants..
Les Services Publics nationaux doivent se décliner dans une gestion partagée avec les collectivités territoriales, ces coopérations se menant ainsi avec des garanties nationales d’accès égal pour tous. Toute leur place aux coopérations volontaires !
Indissociablement, la réforme doit se hisser à la hauteur du niveau de coopération volontaire aujourd’hui rendu nécessaire entre les différentes institutions de notre République.
Cela appelle à inventer des formes nouvelles de « coopératives » opérationnelles ou de « gouvernement partagé », à l’échelle de grands projets volontaires et librement consentis, sous contrôle citoyen. Aux métropoles intégrées, nous opposons des projets métropolitains, élaborés et contrôlés démocratiquement, incluant et respectant les différents niveaux de collectivités. En Région parisienne, le fait d’imposer des seuils contraignants de 300 000 habitants pour l’aire urbaine de Paris et de 200 000 au delà de cet aire urbaine, afin de former dans l’urgence des intercommunalités aux pouvoirs élargis et éloignés des habitants, rentre en complète contradiction avec de véritables projets coopératifs décidés avec les citoyens.
Nous réaffirmons la pertinence des quatre niveaux institutionnels, Commune, Département, Région, Etat, socle républicain sans lequel ce renouveau démocratique et ce haut niveau de coopération, de cogestion, de codécision ne peuvent se déployer. On le voit déjà au niveau des intercommunalités de projet qui sont efficaces quand chaque commune est respectée.
Vive les communes !
Les communes sont le cœur battant de notre République. Elles sont le creuset historique de traditions et de transformations, des lieux de résistance, de projets et de décisions partagées… Elles sont des forces d’entraînement démocratique incomparables. Il serait impensable de se priver de cet atout unique en Europe, en leur retirant leurs compétences, leur capacité d’initiative, de coopération, en les subsidiarisant, en les intégrant systématiquement à des échelons supérieurs, en attendant leur mort lente.
Les communes, leurs élus, doivent être respectés. Elles peuvent et doivent être un formidable moteur démocratique pour construire et mener les coopérations et les projets partagés, conçus avec les citoyens. Elles doivent garder la maîtrise des sols et c’est pourquoi nous nous opposons à l’instauration de PLU intercommunaux, prévue dans le texte.
Nous proposons que soit inventée une forme de consultation obligatoire des citoyens au niveau communal sur des grands projets régionaux ou métropolitains.
Des moyens financiers au service des habitants
A l’opposé des mesures d’austérité en direction des collectivités, il faut leur donner les moyens de remplir pleinement leurs missions et les services aux populations. Il faut cesser cette intolérable et dangereuse réduction des dotations d’État et les revaloriser au contraire. Les collectivités doivent accéder au crédit hors de la logique spéculative, hors des marchés financiers. Une réforme fiscale juste et ambitieuse doit voir le jour au plus vite, avec le rétablissement d’un impôt économique lié au territoire et une taxation des actifs financiers des entreprises répartie équitablement.
Mobilisation de toutes et de tous pour un grand débat national !
Vous connaissez toutes et tous l’importance des missions remplies par les collectivités territoriales et les services publics pour votre vie de tous les jours. Dans les semaines et les mois qui viennent, vont se prendre des décisions importantes sur vos droits au sein de la République. Elles ne peuvent se prendre sans vous, sans un grand débat national. Citoyens, élus, agents publics, organisations syndicales, associations, mobilisons nous dans chaque village, dans chaque ville, dans les départements ! Préparons cette loi tous ensemble !
Formulons des propositions, des amendements. Demandons l’organisation de débats au sein des conseils municipaux, des conseils généraux, des conseils régionaux ! Demandons dans chaque département et régions des assemblées publiques pour débattre de la loi en présence des députés et sénateurs ! Organisons des rassemblements pour interpeller fortement les préfets ! Trouvons toutes les formes de mobilisations citoyennes adaptées à nos territoires ! Et dès à présent, signons cet appel, faisons le connaître largement !