La semaine dernière, le ministre « socialiste » de l’Intérieur, Manuel Valls, a profité de l’inauguration de la nouvelle mosquée de Cergy (Val-d’Oise) pour « s’adresser à la communauté musulmane ». Plus précisément : il a, d’après le compte rendu qu’a fait le quotidien Libération de cette émouvante cérémonie, dit sa volonté de « tourner la page des polémiques sur l’islam » qui avaient « émaillé » la campagne électorale, « tout en appelant à la ferme défense de la laïcité et à la lutte contre l’obscurantisme ». Et il a évoqué, dans ce dernier cadre, « les récentes déprédations commises » par Ansar Dine, qui a détruit des mausolées à Tombouctou (Mali). La question que nous devons immédiatement nous poser, quand nous lisons cela, est la suivante : les membres de la communauté protestante, par exemple, sont-ils, d’une manière ou d’une autre, tenus pour responsables de la destruction par des bombardiers américains, pendant la dernière guerre du Golfe, de gros bouts du patrimoine architectural et archéologique irakien ?
La réponse est non, bien sûr : chacun(e) s’accorde à reconnaître qu’ils n’y sont pour rien. Et que c’est quand même pas de leur faute s’ils ont, dans leur religion, de l’autre côté de l’Atlantique, des white anglo-saxon protestants complètement ravagés qui n’aiment rien tant que d’ensevelir sous leurs bombes des civilisations millénaires. Résultat : aucun ministre de l’Intérieur n’a jamais cru devoir appeler, dans une adresse aux protestant(e)s de France, et au prétexte des déprédations commises par les Yankees en Irak (et en de nombreux autres endroits du globe), à la ferme défense de la laïcité et à la lutte contre l’obscurantisme. De la même façon, la communauté musulmane de France n’est aucunement responsable de ce qu’a fait Ansar Dine au Mali : c’est quand même pas de sa faute, si elle a dans sa religion, de l’autre côté de la mer, des djihadistes cinglés qui infligent aux mausolées de Tombouctou le même traitement que les Américains ont infligé en 2003 à l’Irak.
Mais là, curieusement : plutôt que de s’abstenir de les associer, par un amalgame un peu hardi, à des déprédations dans lesquelles ils n’ont absolument rien à voir, Manuel Valls se fait au contraire un devoir de mélanger, dans une même allocution, les mahométan(e)s de France et les fondamentalistes qui sévissent au Mali. Car, en effet, l’islam a ceci de particulier – que n’ont pas les autres religions – qu’il est systématiquement rapporté, dans les discours des éminences occidentales, à « l’islamisme » : c’est ce qui permet, par la psalmodie régulière de proclamations où les mots « communauté musulmane » et « obscurantisme » sont systématiquement juxtaposés dans un minuscule périmètre verbal, d’entretenir l’opinion publique dans l’idée qu’il y a décidément quelque chose qui ne va pas, avec ces gens-là. Et s’il s’est trouvé quelques innocent(e)s pour espérer que cela changerait avec le retour aux affaires des « socialistes » : l’adresse de Manuel Valls fait un explicite démenti.