Pour Roger Martelli, communiste unitaire, la gauche critique est au seuil d’une nouvelle chance, à condition d’investir pluralité, citoyenneté et novation. Tribune.
À l’approche de 2012, une question politique majeure nous est posée : le potentiel d’indignation et de colère que recèle la société française trouvera-t-il son répondant dans les urnes ? Pour qu’il en soit ainsi, deux murs devront tomber : celui du désamour populaire à l’égard de la politique instituée, qui écarte du vote les réserves critiques réelles ; celui du vote utile, qui épuise le désir de radicalité au profit de la tentation du moindre mal. Ces murs existaient déjà en 2007 : ils avaient alors cantonné l’esprit d’alternative à la marginalité. On peut faire l’hypothèse que nous n’en sommes plus là. En 2007, la gauche critique, celle qui avait su être majoritaire lors du référendum constitutionnel européen de 2005, ne connaissait qu’une seule réalité, celle de la désagrégation et de l’éparpillement. Elle l’a payé au prix fort. Or, depuis deux ans, un phénomène inverse s’est amorcé. Le Front de gauche a rassemblé trois formations et est en train de s’ouvrir à d’autres. Il a un programme « partagé ».
Le vote raisonnable des militants communistes a confirmé qu’il aurait un candidat partagé. Un processus d’agrégation a ainsi heureusement commencé de succéder à la mécanique infernale de la désagrégation. Bien plus encore, la période récente a décanté notre espace. Par la force des choses, il devient de plus en plus évident que Jean-Luc Mélenchon, candidat d’un Front de gauche en voie d’élargissement, sera celui qui portera les couleurs d’une gauche bien à gauche. Au moment du décompte final, son score sera, de fait, celui de la gauche critique tout entière. Les conditions existent donc qui pourraient permettre d’effacer le triste souvenir de la déconfiture des « antilibéraux ». Mais, pour que la potentialité devienne réalité, individus et forces d’alternative devraient s’atteler à œuvrer ensemble dans trois directions. La gauche critique, en effet, a souffert jusqu’à ce jour d’une triple carence : de pluralité, de citoyenneté et de novation. C’est ce triple handicap qu’elle est en devoir de surmonter.
La quête du pluralisme est en bonne voie. Elle devra s’approfondir. De façon visible, ce sont les « tribunes du 29 mai », celles qui ont porté le « non » à la victoire en 2005, qui devront redevenir notre horizon. On s’en approche ; écartons désormais tout ce qui peut retarder ces retrouvailles. Rien, sur le fond des ambitions et des projets, n’empêche le rassemblement de l’arc politique le plus large. Plus que jamais, la double rupture avec le libéralisme arrogant et avec l’esprit d’accommodement est notre but commun immédiat ; plus que jamais, nous entendons en faire la pierre angulaire d’une gauche à vocation majoritaire.
La quête de la citoyenneté est plus décisive encore. Une des clés de la victoire en 2005 fut la capacité à mobiliser, sur un enjeu commun, des personnalités et des pratiques différentes : des militants politiques associatifs et syndicaux, des collectifs et des individus, des « déjà-organisés » et des « auto-organisés », des formes de mobilisation traditionnelles (réunions, meetings) et des formes nouvelles (Internet, DVD). Pour l’instant, le Front de gauche a été avant tout un cartel ; tout ce qui permettra de passer du cartel à la fédération libre des initiatives et des énergies sera un pas en avant vers le succès. Manifestement beaucoup, organisés ou non, souhaitent cette continuation/subversion du cadre existant. Tant mieux…
Enfin, la novation se devra d’être au rendez-vous. Depuis au moins trois décennies, la modernité a été associée au renoncement. Archaïques : l’égalité des conditions, le bien commun, le service public, la primauté des droits et le partage. Modernes : la privatisation, la dérégulation, la gouvernance, la concurrence et l’individualisme du marché. Il ne faut plus accepter ces banalités délétères. Mais on ne battra pas la modernité frelatée par le simple retour aux « fondamentaux ». On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve… Ce que nous opposerons aux impasses du système, c’est l’égalité sans l’uniformité, le service public sans l’étatisme, le partage sans l’éradication, la responsabilité sans la conformité. Si l’émancipation est notre maître mot, nous devrons le donner à voir : dans nos contenus — c’est en bonne voie — et dans nos formes — c’est plus difficile.
Notre manière d’être et de paraître comptera autant que ce que nous dirons. L’esprit d’émancipation par la rupture n’a, chez nous, aucune raison de se trouver marginalisé comme il l’a trop été dans la période récente et comme on pouvait craindre qu’il ne le soit une fois de plus. L’expression la plus forte de cet état d’esprit se trouvera l’an prochain dans les résultats législatifs et présidentiel du Front de gauche. Ne nous cachons pas que, au-delà de 2012, c’est le profil général de la gauche et de tout le mouvement populaire qui sera ainsi en jeu. Les possibles sont immenses ; les obstacles sont conséquents : les responsabilités sont donc immenses. À tou(te)s et à chacun(e) de les assumer.