La transformation sociale suppose une rupture institutionnelle forte

Une tribune libre d’Anicet Le Pors, conseiller d’état, ancien ministre, dans l’Humanité.

COMMENT RELEVER LES VALEURS DE L’ÉTHIQUE RÉPUBLICAINE JETÉEs À TERRE PAR LE SARKOZYSME ?

Au fil du temps se confirme l’évolution amorcée par le pouvoir sarkozyste dès son installation, aggravant les traits les plus antidémocratiques d’une Ve République passée d’un système dit de « parlementarisme rationalisé », à une « monarchie aléatoire » (sanctionnée par le quinquennat et l’inversion des élections présidentielle et législatives), pour déboucher sur la « dérive bonapartiste » dans laquelle le pays est aujourd’hui entraîné (1). Sarkozy couvre la France d’une honte qu’elle ne mérite pas.

Les affaires de son fils et de Frédéric Mitterrand ne sont que l’écume nauséabonde d’une décomposition en profondeur. Ce système n’assure sa survie que par la manipulation de l’opinion publique et le renforcement de l’autoritarisme d’un exécutif irresponsable dépourvu de culture historique, de responsabilité publique, de morale républicaine. Pour parvenir à ses fins et conserver son pouvoir, il n’hésite pas à dénaturer en profondeur les structures des collectivités publiques forgées par notre histoire, tant au niveau de l’État (réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008) qu’à celui des collectivités territoriales, par le moyen des projets de loi adoptés lors du dernier Conseil des ministres. Mais cette offensive contre notre patrimoine institutionnel ne doit pas pousser au découragement car, à la mesure même des atteintes qui lui sont portées, s’ouvrent des champs de reconquête de ce qui siège au cœur de la nation  : des principes éprouvés d’organisation institutionnelle, une démarche rationnelle de gestion des affaires publiques, une éthique républicaine présidant à la définition de l’intérêt général. Ce sont ces valeurs aujourd’hui à terre que notre peuple doit relever et se réapproprier.

Réappropriation d’institutions républicaines démocratiques. Dans le cadre du débat sur la réforme des collectivités territoriales, le pouvoir a choisi de privilégier les niveaux des agglomérations communales, de la région, de l’Union européenne, contre ceux de la commune, du département, de la nation. Sans méconnaître les premiers, il faut faire le choix des seconds comme niveaux structurants de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Deux principes y président  : d’une part, la République est une et indivisible et c’est au niveau de l’État-nation que se définit l’intérêt général, les collectivités territoriales n’ayant pas de compétence législative propre, ce qui exclut, par exemple, toute forme d’expérimentation législative des régions  ; d’autre part, le principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72 de la Constitution). Ces principes peuvent être contradictoires, il appartient alors au débat démocratique de lever la contradiction par le recours à deux moyens  : la compétence générale reconnue à chaque collectivité au-delà de ses compétences spécifiques, l’organisation d’une subsidiarité librement déterminée entre niveaux de compétences.

Réappropriation de la démarche scientifique dans la gestion des affaires publiques. Toutes les collectivités publiques sont soumises aujourd’hui à une contrainte financière qui tend à les asphyxier. C’est évidemment le cas pour les collectivités territoriales en raison de la suppression de la taxe professionnelle dont la compensation n’est pas assurée. Mais c’est aussi le cas de l’État. La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sous les apparences d’une méthodologie fonctionnelle, organise de manière particulièrement perverse la compression budgétaire des services publics par l’application de la règle dite de « fongibilité asymétrique » (des crédits destinés à l’emploi peuvent être utilisés pour des dépenses de fonctionnement et d’investissement mais pas l’inverse). La révision générale des politiques publiques (RGPP) aggrave la situation non seulement en s’ordonnant derrière l’objectif stupide et démagogique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, mais surtout en procédant à un véritable démantèlement de l’« administration rationalisante »  : après la suppression du commissariat général du Plan, celle du Conseil national d’évaluation, du haut conseil du secteur public, du haut conseil à la coopération internationale, et de beaucoup d’autres organismes, dont la vocation était la rationalisation des politiques publiques (2).

La « main visible » est tranchée pour laisser le champ libre à la « main invisible ». C’est la raison qui doit guider la recherche de l’efficacité sociale et non l’esprit de rentabilité de l’entreprise privée  : l’idéologie managériale est un snobisme. La planification, la rationalisation, l’évaluation doivent être réhabilitées. Réappropriation de l’éthique républicaine dans le service de l’intérêt général. La France est le seul pays développé à posséder un service public aussi étendu  : 5,2 millions de fonctionnaires régis par un statut général fondé sur des principes républicains d’égalité, d’indépendance et de responsabilité caractérisant la conception du fonctionnaire citoyen. Parmi eux, 1 800 000 fonctionnaires territoriaux célèbrent cette année le 25e anniversaire de leur statut. Auxquels il convient d’ajouter environ un million de salariés sous statut des entreprises et des organismes publics. C’est ce môle de résistance au marché et au contrat de droit privé que le président de la République a entrepris de détruire. Mais la crise financière a révélé le rôle d’« amortisseur social » de ce service public, tant du point de vue du pouvoir d’achat que de l’emploi, du système de protection sociale, de retraite et aussi, ce qui a été plus rarement souligné, d’un point de vue éthique. Face à l’immoralité spectaculairement affichée par le système financier mondial, le service public national est un espace intègre. La « révolu tion culturelle » promise par le président de la République en septembre 2007 a été tenue en échec. On peut dire aujourd’hui que si, pour le pouvoir, le cap destructeur est maintenu, le « grand soir statutaire » qu’il envisageait n’aura pas lieu.

Se réapproprier l’histoire, la science et la morale, tel doit être l’objectif central de la transformation sociale démocratique. Cela implique nécessairement une rupture institutionnelle forte  : la suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel. Et une posture courageuse  : le refus de participer à une élection dont, nous dit-on, tout dépend, mais qui est en réalité au cœur du processus de désagrégation de la République française.

(1) L’Humanité, 27 août 2007. (2) Cf.  : http://anicetlepors.blog.lemonde.fr

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