Cornélien

unepolitis1002.gifjeudi 17 septembre 2009, édito de Politis par Denis Sieffert

On me pardonnera l’audacieuse métaphore qui suit, mais en contemplant le paysage à gauche, je ne peux m’empêcher de penser à ces dilemmes cornéliens qui ont fait les délices de nos études. Un certain romantisme en moins puisque, dans notre petit théâtre, la froide raison politique a tendance à remplacer les passions amoureuses. Mais, au fond, la tragédie est la même. Et, comme chez Corneille, c’est le personnage le plus fragile qui est le plus convoité. En l’occurrence, un parti communiste chancelant, qui aurait le rôle de Chimène au milieu de deux prétendants jaloux : le Parti de gauche et le Parti socialiste. Ou, si vous préférez, Rodrigue et Don Sanche (et tant pis si la distribution laisse poindre de ma part une préférence…). Une âme accommodante envisagerait bien un ménage à trois ; notre Chimène, elle-même, n’y verrait apparemment aucun inconvénient. Mais ce serait compter sans l’intransigeance des prétendants. Et puis ce scénario nous ferait franchement sortir de l’univers cornélien pour nous plonger dans le vaudeville. Il est donc temps de redevenir sérieux et de dépasser les apparences pour tenter de comprendre cette raison politique à l’instant évoquée.

En vérité, l’appel lancé vendredi par Marie-George Buffet à un « front de gauche élargi au Parti socialiste » n’est pas aussi unitaire que les mots le laissent supposer. Les dirigeants communistes savent très bien que Jean-Luc Mélenchon et ses amis n’ont pas l’intention de retourner dans le giron de ce PS qu’ils viennent de quitter. Ce serait contredire l’acte courageux de rupture qu’ils ont accompli il y a moins d’un an. Les communistes n’ignorent pas non plus qu’en faisant les yeux de Chimène au PS, ils brisent toute possibilité d’alliance avec le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot. Et ils mettent en fâcheuse posture la toute jeune Fédération, qui regroupe les Communistes unitaires (partisans, eux, du « pôle de radicalité »), les Alternatifs et les collectifs antilibéraux. C’est en fait l’idée même d’un pôle antilibéral qui vacille, puisque celle-ci se fonde sur une analyse critique du glissement libéral du PS. On aperçoit bien les raisons évidentes de la direction du PCF. Les quelque 185 conseillers régionaux communistes pèsent de tout leur poids dans cette offre de rabibochage avec le parti de Martine Aubry. Ceux-là rêvent d’un accord avec le PS dès le premier tour des régionales de mars prochain qui, espèrent-ils, faciliterait leur réélection. Mais on voit aussi les limites de ce calcul. Il ne s’agit pas seulement de conservatisme pour l’appareil du PC, mais d’une réaffirmation d’allégeance de toute la gauche au PS. C’est sacrifier au court terme la perspective d’une recomposition.

L’ennui, en politique, c’est qu’il y a toujours un « court terme ». Voilà donc le choix cornélien qui s’offre aux dirigeants du PCF : un calcul électoral à la petite semaine, ou l’Histoire, même avec une petite majuscule. La question est politique au plus haut point. À quoi sert un conseiller régional ultraminoritaire ? Au compte de quelle politique se feraient de telles alliances ? Et quel espoir avons-nous de faire bouger les lignes si toute recomposition est soumise à l’élection qui vient ? Il ne s’agit donc pas seulement des régionales, mais d’un choix stratégique sur le long terme. À cet égard, le score du Front de gauche aux européennes est prometteur. C’est assurément de ce côté, et dans ce cadre, qu’une histoire différente peut s’écrire aujourd’hui. La Fédération semble prête à faire le bon choix. D’autant plus que les anathèmes qui pesaient sur elle à la veille des européennes sont aujourd’hui à peu près levés. Cette recomposition, synonyme à nos yeux de constitution d’une autre gauche, n’a évidemment rien à voir avec un nouveau Meccano politique. Il ne s’agit pas d’un jeu d’alliances. Il est question ici de doter durablement nos concitoyens d’instruments politiques nouveaux au moment où ils en ont le plus besoin.

Une offre qui peut aussi permettre aux Verts d’avoir un autre choix que de suivre l’entremetteur Cohn-Bendit dans son opération MoDem. Et tenter, demain, de nombreux militants socialistes. Les enjeux, politiques, sociaux, environnementaux, sont donc considérables. Les communistes ont eu sous les yeux ce week-end un sondage en grandeur nature. Six cent mille personnes, dit-on, à la Fête de l’Humanité. Un record ! Et un regain d’espoir pour un parti qui, avec la stratégie du Front de gauche aux européennes, a arrêté une longue hémorragie électorale. Il ne nous a pas semblé, au fil des débats, que cette population, souvent jeune, était venue pour consacrer un retour aux vieilles lunes. Face à un choix réellement cornélien, la direction du PCF ne doit pas décevoir l’espoir qu’elle a elle-même suscité. Un retour en arrière serait bien dramatique, sinon « tragique ».

P.-S. : Nos Assises commencent à prendre forme.

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