Européennes: Pas de « conditions » pour s’unir

Un article de mon ami Roger Martelli
Pas de « conditions » pour s’unir

J’entends dire, du côté de certains de nos amis du NPA, que l’union aux prochaines élections européennes devrait être conditionnée par un accord incluant à la fois les européennes et les régionales. Je comprends parfaitement les réticences à l’égard de possibles stratégies électorales à géométrie variable ; je comprends l’exaspération devant la gauche des désillusions et du renoncement. Je comprends, mais je ne crois pas judicieuse la proposition énoncée.

Il est, à mes yeux, nécessaire d’affirmer le projet d’une gauche qui entend transformer concrètement la vie du plus grand nombre. Une gauche qui entend donc assumer toutes ses responsabilités, y compris gestionnaires. Une gauche qui les assume dans le seul objectif d’en subvertir les conditions d’exercice, et non pour se couler dans les modèles gestionnaires dominants. Pour parvenir à cette tension délicate de l’exercice des pouvoirs et du projet transformateur, la clé est dans le bouleversement des rapports des forces, et d’abord à l’intérieur de la gauche. La gauche de transformation sociale doit donner le ton, et pas l’esprit d’adaptation comme c’est le cas, hélas, depuis trente ans.

Je considère donc que la méthode qui consiste d’abord à faire converger politiquement les forces d’alternative doit devenir, dans tout l’espace politique et électoral, un principe durable de structuration, qui peut se substituer au modèle ancien de l’union de la gauche des années 1960-1970. Pas un coup politique, mais une façon pérenne de s’affirmer… Il reste que, pour s’imposer, ce modèle doit faire la preuve de son efficacité évidente aux yeux de la gauche « d’en bas ». Or on ne l’imposera pas par du discours, mais par de l’expérimentation. Pour l’instant, notre espace est sur le coup de l’échec des espérances de 2005-2007, sous le coup de l’enlisement qui fut celui du processus de candidature antilibérale. Chacun s’observe en chien de faïence ; la méfiance s’est installée. Comment dépasser cet état de fait dramatique ? Non pas en entretenant les préventions réciproques par une reconduction de notre séparation, mais en retrouvant le goût d’être ensemble, dans une bataille de haut contenu dont nous savons que nous pouvons la mener ensemble.

Si nous décidions de mener ensemble la bataille des élections européennes, sur quoi la mènerions-nous sur le fond ? Nous argumenterions sur la nécessité d’une rupture avec le fonctionnement actuel de l’Union : pas d’accommodement possible avec les traités existants ; c’est un autre socle qu’il faut construire dans un processus constituant. Nous démontrerions la nécessité de ne pas laisser l’Union européenne aux mains des États et des eurocrates, de ne plus laisser fonctionner le consensus étouffant de l’alternance entre ultralibéraux et sociaux-libéraux. Nous plaiderions pour que s’installent enfin des passerelles solides entre la dynamique sociale des luttes et les institutions européennes, parce que s’est la seule chance pour que l’Europe trouve un nouveau souffle et acquière sa légitimité auprès de ceux qui s’en éloignent aujourd’hui.

En bref, nous nous engagerions ensemble autour de l’exigence d’un nouvel élan, d’un nouveau traité, d’une autre Union européenne. Imaginons que nous menions ensemble cette campagne-là, comme nous l’avons fait dans la bataille contre le TCE. Imaginons que, par les mêmes vertus de l’union, nous marquions des points et que nous disputions le terrain à la social-démocratie, si possible jusqu’à la devancer. Alors nous aurons fait une démonstration par la pratique que la convergence des forces critiques est la meilleure façon de dynamiser la gauche, et ce faisant, de battre la droite rétrograde que nous avons en face.

Alors, il nous sera plus facile pour plaider afin que cette méthode devienne la base de notre engagement dans l’ensemble des batailles politiques, dans l’ensemble du champ électoral.

Je ne peux pas affirmer à 100% que cette bataille unitaire, même réussie, découragera définitivement toute tentation ultérieure de compromis, ou toute stratégie d’instrumentalisation de la part de tel ou tel. Mais je suis à peu près sûr que si nous ne nous unissons pas en juin prochain, il nous sera plus difficile encore de nous unir, en tout cas avant longtemps. En politique, c’’est l’union qui crée de la dynamique d’union ; la désunion ne produit que de la dynamique de division. Et dans ce cas-là, ne nous étonnons pas du résultat prévisible : les forces d’alternative divisées, la main restera à la social-démocratie.

L’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions. Prenons garde que la pureté alternative ou révolutionnaire proclamée ne devienne un marchepied pour la reproduction à l’infini de l’hégémonie du social-libéralisme sur la gauche.

L’union de toutes les forces critiques en juin prochain, sans condition préalable : c’est une nécessité pour que le vote référendaire de 2005 ne soit pas effacé ; c’est la meilleure propédeutique pour que s’impose, le plus vite possible, la perspective d’une gauche de gauche rassemblée ; c’est la meilleure façon de préparer les conditions pour que la gauche majoritaire soit une gauche digne de ce nom.

Roger Martelli

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