La crise est d’une ampleur exceptionnelle. Elle bouleverse la donne politique. Elle disqualifie absolument les choix de la « dérégulation » ultralibérale. Elle vieillit brutalement les stratégies d’adaptation au capitalisme, dites « sociales-libérales » depuis l’exemple anglais. Nous devrions savoir désormais que nous ne nous en sortirons ni par un toilettage, ni par un retour mythique aux cycles vertueux de l’État keynésien. Le réalisme, que cela plaise ou non, est aujourd’hui du côté de la rupture et non de la conservation, de la répétition ou de l’incantation. Il faudra bien, d’une façon ou d’une autre, changer en profondeur les moteurs de la créativité, les modes de développement, les mécanismes d’allocation des ressources, les finalités et les formes de la décision collective. Ou alors, nous décidons de nous enfermer à jamais dans le balancement stérile de la concurrence libre et non faussée et de l’État administratif. Le parti pris radicalement transformateur est le seul raisonnable.
Politiquement, s’affrontent les obstacles persistants à l’initiative critique forte et les potentialités de son expansion. Le Parti socialiste reste dominant à gauche ; mais nous le voyons s’épuiser dans des querelles de clan qui n’empêcherons pas son recentrage, sous une forme brutale ou sous une forme plus prudente. L’autre gauche est aujourd’hui dispersée, éclatée, ce qui nuit sur sa lisibilité, sa capacité à faire réellement du neuf, sa possibilité de disputer à terme l’hégémonie à gauche à la ligne d’accompagnement. L’appel lancé par Politis a donné à voir la profondeur et la permanence du désir de rassemblement de la gauche antilibérale, la LCR a choisi de se dissoudre dans un nouveau parti anticapitaliste qui la dépasse, Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez ont choisi courageusement de quitter le PS, le PCF semble répondre positivement à cette dernière initiative, d’autres courants alternatifs veulent se fédérer… : notre espace politique est en mouvement car les clivages actuels sont obsolètes pour répondre aux défis de notre temps. C’est à la convergence la plus large de toutes celles et ceux qui souhaitent changer d’horizon économique, social et sociétal qu’il faut plus que jamais travailler.
Les militants déboussolés, qui se battent sur le terrain, mais que désespère l’absence de grand mouvement politique collectif, sont légion. Les militants syndicaux ou associatifs, qui se battent pour les droits et les avancées sociales, mais se désolent de ne pas trouver de correspondance politique à la hauteur, sont légion. Les féministes, les altermondialistes ou les anticonsuméristes, qui combattent pied à pied mais enragent de ne pouvoir adosser leur action sur une dynamique politique conséquente, sont légion. À un moment où tout bouge, les potentialités critiques sont incommensurables. Et politiquement, nous restons l’arme au pied. C’est folie que d’en rester là. Que ce mouvement préserve sa diversité, qu’il cesse de rêver à l’enfer du monolithisme et aux impasses des avant-gardes éclairées, est une chose. Que chacun pense d’abord à cultiver son propre jardin en est une autre. Et que chacun s’imagine qu’il va être le centre des rassemblements à venir est une sinistre plaisanterie. Ou nous nous mettons tous ensemble, comme nous avons su le faire en 2005, ou nous nous résignons à être des supplétifs, roues de secours ou aiguillon de majorités dominées par la social-démocratie.
Il y a des différences persistantes ? C’est une chance. Des divergences insurmontables ? L’expérience montre que, quand on en a la volonté politique, aucune divergence ne peut empêcher le rassemblement. Que l’on n’aille pas nous faire croire qu’il y a des lignes de fracture plus importantes à la gauche du PS que dans la social-démocratie ou à l’intérieur de la droite ! De ce côté-là, on sait faire la part du fondamental et de l’accessoire. Quand allons-nous enfin nous décider à en faire de même à la gauche de gauche ?
Convaincre tous ensemble ou nous enliser tous séparément : il n’y a pas de voie médiane. Profitons de l’échéance européenne, qui s’y prête à merveille, pour faire nos travaux pratiques.
Clémentine Autain et Roger Martelli (co-directeurs de Regards)
10 novembre 2008