Jean-Louis Sagot-Duvauroux : La gratuité est constitutive de l’espérance communiste.
Le communisme dessinait une perspective bouleversante, d’ailleurs oubliée, comme le dépérissement de l’Etat, la libre activité (l’abolition du salariat : activité sous hiérarchie et vendue), passer de chacun
selon « ses moyens » à chacun selon « ses besoins»…
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Jean-Louis Sagot-Duvauroux : La gratuité est constitutive de l’espérance communiste.
Le communisme dessinait une perspective bouleversante, d’ailleurs oubliée, comme le dépérissement de l’Etat, la libre activité (l’abolition du salariat : activité sous hiérarchie et vendue), passer de chacun selon « ses moyens » à chacun selon « ses besoins »…
Ces utopies peuvent nous sembler absurdes parce qu’elles sont originales, à contre-courant, et aussi parce que les régimes de l’Est se sont en partie réclamés de ces idées sont devenus des états tyranniques.
Aujourd’hui, sur le plan électoral, on peut dire que 85% des électeurs votent pour des partis « libéralistes ». Selon eux l’humain est parvenu au maximum de liberté, sinon c’est le soviétisme. L’Occident domine le monde et nous contraint à passer notre vie à travailler pour acheter. C’est le sens de la candidature de Sarkozy.
On peut dire que la majorité de l’humanité est insatisfaite, mais convaincue par la force ou par la raison qu’on ne peut pas faire mieux.
Il m’a semblé que la gratuité est une frontière politique, qui est liée à l’émancipation et pas à une démarche autoritaire. C’est le cas de la Sécurité Sociale : on reçoit selon ses besoins, pas selon ses cotisations. Cela contribue à l’élévation éthique de la population. Cela rejoint le combat communiste contre le capital.
Des acquis ont découlé de ce combat : le temps de travail, les congés payés, etc. Cette gratuité rejoint une autre idée communiste : l’appropriation sociale des moyens de production. En 81 la gauche française a nationalisé le secteur bancaire sans que cela joue sur notre vie essentiellement. En revanche, le déremboursement d’un médicament est immédiatement perçu… La Sécu est une propriété collective mais pas une nationalisation, elle semble naturelle et le gouvernement ne peut pas y toucher sans que les gens réagissent.
Si l’on prend le cas des retraites, voyons qu’au travail, on vend son temps, mais son temps gratuit, libre est ressenti comme plus important. Cela ne me viendrait pas à l’esprit de donner un prix au temps que je passe avec un ami ou mes enfants.
A la retraite, si on n’y est pas préparé, on ne sait pas quoi faire de son temps libre. Le patronat prétend ensuite que faire travailler les retraités les aident à supporter la retraite.
On dit que ce qui est gratuit n’a pas de valeur. JLSD: C’est le contraire. On vend son temps de travail pour pouvoir profiter de son temps libre. On ne peut pas estimer les relations filiales, amicales ou amoureuses. C’est pourtant ce qui compte le plus pour nous. C’est du temps choisi.
Les gens voudraient pouvoir bénéficier de grandes gratuités comme l’eau, l’énergie, le logement, etc. Alors pourquoi pas pour l’alimentation par exemple avec les cantines scolaires gratuites ?
JLSD : Ce sont les peuples qui font l’histoire, il faut partir de la montée du sentiment d’un droit pour inventer des gratuités. C’est vrai pour le logement où il y a la montée de cette revendication d’un droit au logement pour tous. Pour l’eau, une ville de l’est de la France a mis en place un quota d’eau gratuite nécessaire et au-dessus c’est payant. Je suis favorable à la cantine gratuite dans une société qui se désolidarise : tout le monde serait à égalité, sans distinction. il n’y aurait plus d’assistant ou d’assisté. C’est mieux que le quotient familial (même si le quotient familial est mieux que son absence…) C’est dès lors un bien public, comme un trottoir où tout le monde peut marcher. C’est la différence avec les « socialistes » qui font du « social ».
Rien n’est gratuit, à part dans la nature, la chaise sur laquelle je suis assis a été payée. La gratuité n’existe pas, il y a forcément quelqu’un qui paie.
JLSD : Bien sûr. Quand l’école gratuite a été décidée, on savait que ce serait le plus gros budget de l’Etat, comme pour la Sécurité sociale. Le mot « gratuit » est devenu gênant avec la marchandisation… En anglais, le mot « free », veut dire « libre d’accès », ça ne veut pas dire que ça n’a pas de coût. Je suis favorable à ce que l’on ait le culot d’employer ce mot. Cela crée de la solidarité parce qu’on paie des impôts qui prennent en charge des secteurs qu’on n’utilise pas (même si on ne va pas à la piscine, on la paie sans rechigner, comme pour l’éclairage public si on ne sort pas le soir). Disons plutôt : je veux des gratuités, comment je les finance ?
On est dans un système où l’accumulation est parfois le seul but. Or si cela provoque du pouvoir, cela ne provoque pas de jouissance. C’est ce que je reproche aux communistes : n’être jamais sortis de la logique de produire plus.
JLSD : Il y a de nombreux types de gratuité. La poésie est un art très développé en France, mais sorti du marché parce que cela ne rapport
e pas. L’amour qui est la bonne obsession de la plupart des gens est gratuit. Il est vrai que l’URSS s’était fixé l’objectif de rattraper le niveau de vie de l’Occident, donc acceptait ce modèle… Le sens de la propriété est que si on possède, on en fait ce qu’on veut. Le discours de Sarkozy sur « travailler plus pour gagner plus » montre bien que le seul horizon est de bosser pour acheter. De ce point de vue, le temps libre, c’est la famille, la politique… Le pire c’est que cette vision de l’argent semble la seule.
Sarkozy a dit qu’il avait réconcilié les Français avec l’argent. C’est bien ça… On ne conçoit plus de ne pas être propriétaire de son logement, par exemple… Poser la gratuité c’est effectivement trouver le financement. L’idée des impôts progressifs est un peu celui qui est porté.
JLSD : Effectivement la gratuité n’est pas un dogme. Par exemple sur la nourriture, il est aussi important de garder le choix de ce qu’on veut acheter : le marché est peut-être mieux adapté pour faire les courses de son choix…
Mais la gratuité est un vrai basculement. Prenons le cas des transports dans l’agglomération parisienne : les plus riches voyagent moins cher. Et quand les jeunes ne paient pas, cette « fraude » aboutit à une police extrêmement agressive, de l’intimidation armée, etc. Avec la gratuité, on règle ce problème.
Peut-on réaliser la gratuité d’un seul coup, sur le logement, la cantine ?
JLSD : sur le logement, effectivement, on a travaillé avec le maire de Bobigny Bernard Birsinger à une proposition d’un droit à occuper son logement avec un arrêt du paiement des loyers quand la valeur de l’appartement a été atteinte. Quelque soit son revenu la question du droit au logement est nécessaire. On ne devrait pas pouvoir mettre à la rue des personnes qui ont des difficultés de paiement pour des questions de salaire. Le gens utilisent leur logement pour y vivre mais ne devraient pas pouvoir en faire de l’argent.
Il faut d’abord assurer la nourriture. Quelques-uns prônent la prise au tas, se servir directement…
JLSD : Institutionnaliser un droit est sans doute plus durable et plus structurant socialement que de prendre au tas.