Quelques réflexions sur l’organisation. Pierre Zarka.
Je prévoyais écrire ces jours-ci une contribution en vue du 24 Mars, mais l’échange entre Isabelle Lorand, Roger Martelli et – à cette heure- Laurent Lévy me conduit à commencer par quelques remarques. Je partage le souci exprimé par Isabelle de ne pas reproduire ce que nous avons refusé au sein ou à propos du PC mais je ne crois pas que la solution soit de différer la mise en route d’une structure (en l’occurrence une association). Non seulement parce que nombreux sont celles et ceux qui sont dans l’attente que quelque chose de tangible existe, mais parce que les problèmes posés par notre culture politique ne se réduisent pas à la culture issue du PC, et qu’elle exige de nous d’entrer dans l’expérimentation concrète pour aller au-delà de l’invocation de ce qu’il ne faut plus faire.
A mes yeux, nous avons besoin de nous débarrasser d’une conception qui conduit à avoir en tête qu’il pourrait y avoir en matière de politique un savoir scientifique. Même les praticiens des sciences dites dures renoncent à une conception univoque de leurs approches. Les choses se gâtent non pas quand chacun veut défendre ses convictions mais quand il pense indispensable qu’elles deviennent la seule vérité. Bien évidemment cela pose la question de comment dans la vie politique immédiate on arrête une décision et une position. Pour moi le communisme ne peut qu’être une mosaïque d’approches et les divergences qui peuvent surgir devraient être comprises comme autant de stimulants de recherches et de dépassement de ses propres convictions et non des obstacles. Et ce de manière durable. Je ne crois pas à la possibilité de résoudre les problèmes évoqués par des débats en vase clos, sans expérimentations, en une période qui se limiterait à quelques mois. Et cette mosaïque d’approches fait que je ne vois pas où est l’inconvénient que certain(e)s se réfèrent au PC dans la mesure où personne n’en fait un passage obligé. De même, j’espère que nombreux participants porteront les expériences et cultures d’autres univers. C’est la première raison qui me conduit à penser qu’il ne faut pas remettre à plus tard la constitution de quelque chose de tangible nous concernant. Nous ne pouvons demeurer à l’état actuel un tantinet « gazeux » qui faute de structure et de procédure adoptée, réduit l’espace que nous voulons constituer à un cercle d’intimes. Je le dis d’autant qu’en général je fais plutôt partie de ces intimes. Evidemment, j’entends bien que des camarades interrogent soit le vocable soit même la notion de communisme. Voilà qui n’interdit rien : je ne vois pas au nom de quoi le tâtonnement voire la marche arrière nous seraient fermés. J’ajoute à ce qu’en dit Roger que je partage, -mais j’ai conscience d’être déjà dans le débat-, que lorsque l’on évoque comme Gérard Perreau Bezouille le « post-communisme », comme l’expression l’indique, on ne peut partir que de l’existant et qu’il est pour l’instant lui-même conduit à utiliser le mot de « communisme ». Il vaut donc mieux partir d’un acquis même sacrément malmené quitte à en vérifier la pertinence.
Enfin un mot sur la notion « d’échec » des refondateurs évoqué par Laurent. C’est une notion plus délicate à manier qu’il n’y paraît. La référence que Laurent fait à la Commune de Paris ou à Babeuf en témoigne. La question est de savoir si cette tentative n’a rien apporté un peu comme certains primates n’ont jamais fait souche pour déboucher sur l’Homme ; dans ce cas on pourrait parler d’échec. Mais je ne suis pas sûr que sans cette expérience- celle des refondateurs pas des primates- nous aurions aujourd’hui ce débat sur les communistes unitaires. Un processus suppose des initiatives qui favorisent des maturations et sa qualité ne peut se mesurer seulement aux « victoires »
J’en viens là où je pensais initialement commencer mon texte. Notre culture –pas seulement la culture politique- confond étroitement efficacité et délégation de pouvoir, dépossession. Une stratégie axée sur la prise du pouvoir d’Etat n’a fait qu’ancrer davantage des conceptions qui faisaient de l’organisation un lieu dont la sagesse se substitue à l’incompétence des intéressés, et lorsque le discours est plus prudent un mode de dépossession qui se justifie par le refus du mythe de la spontanéité des masses. Mais ce refus fait oublier que la question des rapports à tout pouvoir est une donné fondamentale du communisme. La question de l’émancipation des individus si elle n’est pas résolue par un « grand soir » ne peut l’être qu’en termes de processus et s’organiser devrait être selon moi un des moments immédiatement effectif de ce processus. C’est pourquoi, à mon sens, il s’agit moins de construire à partir de ce qui est comme formes d’organisations, que de partir des obstacles à l’engagement et des potentialités des personnes. J’ajouterai, concernant le caractère utopique au sens propre de mon exploration, que je suis persuadé qu’en ne changeant pas la culture délégataire, quel que soit le réel enracinement de celle-ci, nous n’aurons pas de réponse pertinente à la question de la transformation révolutionnaire de la société. Pour une raison essentielle au sens profond de ce terme : la prochaine révolution à accomplir est celle de l’émancipation des individus de toute domination et aliénation et l’on ne peut être émancipé par d’autres que par soi-même sans que l’on s’engage peu ou proue.
Je pars du principe que la raison d’être d’une organisation collective de communistes réside d’abord dans sa capacité à produire de l’avenir commun. L’engagement politique immédiat est un engagement vers un avenir qui permet de dépasser les singularités sans les abandonner. Autant il nous faut éviter que l’organisation se pose comme une « contre-société », autant cela ne devrait pas nous conduire à sous-estimer que le combat polit
ique est une forme d’individuation/ socialisation et qu’il n’y a pas de construction d’une identité forte de soi sans pouvoir se projeter dans un avenir. Nous aurions intérêt à réfléchir au maintien du religieux. Un des fondements de la crise idéologique et politique de la société est là. L’individu ne se construit pas uniquement avec du présent, de l’urgence et encore moins avec du passager. S’il ne peut être écrit à l’avance et présenté comme un programme ficelé, cet avenir ne peut exister que par une cohérence qui donne du sens au présent et pour exister a besoin de pouvoir être globalement défini ( en tout cas son portrait-robot) et nommer. La question du projet communiste et la question de s’organiser ne peuvent être dissociés.
Cela posé, le défaut de conception de l’organisation évoqué plus haut découle de l’absence de distance critique de l’organisation avec les modèles institutionnels. Modèles qui au nom d’incarner le rapport individu / convictions lui substituent le rapport individu/ autorité de l’institution : ce n’est plus elle qui porte ce que pense ses membres, ce sont ses membres qui s’alignent sur elle pour pouvoir « en être ». Dit autrement, sommes –nous les uns et les autres communistes parce que nous appartenons au même collectif qui nous labellise (ce qui n’est pas le cas de tous les communistes) ou sommes –nous communistes pour des raisons propres à chacun( e) d’entre nous et éprouvons-nous le besoin de fédérer, de mutualiser nos pensées et efforts pour passer à l’état de force collective ? Il n’y a pas qu’une nuance entre ces deux variantes. Dans le second cas, l’identité ne découle pas du collectif, c’est l’identité de chacun( e) conjuguée non pas à un objectif commun abouti, mais à la construction permanente d’un objet commun, qui fait le collectif. Et autant une organisation ne peut prendre la place d’une « contre-société » autant elle ne « marche » que si elle est vécue par celles et ceux auxquels elle s’adresse comme un élément d’accomplissement et de dépassement de soi, c’est-à-dire comme un facteur d’individuation et de socialisation.
Il y a deux types d’activités communistes : l’une bien connue, qui consiste en interventions collectives, allant de la distribution de tracts aux meetings. Mais je ne suis pas sûr qu’il ne faille pas considérer ces moments comme exceptionnels même s’ils sont fréquents. Je veux dire par là que pour moi l’essentiel est l’intervention spécifique de chacun(e) d’entre nous dans son milieu dans le cadre de pratiques propres à ce milieu. Posée ainsi, la question principale n’est plus de l’ordre de la mobilisation quasi-militaire mais de l’ordre de l’initiative individuelle et de la créativité. Et c’est de donner à ce type d’interventions personnelles un statut de normalité du combat politique qui change l’action politique, les qualités requises et même le caractère des initiatives collectives type débats ou meetings. D’autant que si nous nous situons durablement dans une démarche de rassemblement, bon nombre de ce type d’initiatives ne sera pas le fait des seuls communistes, mais seront des initiatives unitaires auxquelles il est souhaitable que les communistes apportent autre chose que leurs « petites mains ». Dès lors, l’apport communiste devrait être essentiellement de la contribution à la culture politique, aux représentations mentales. Une conception étriquée du matérialisme nous a fait oublier que les représentations, les symboliques c’est du concret.
Il s’agit donc de produire des éléments de connaissance du monde et de la société, des pistes ou principes conceptuels qui permettent à chacun(e) non pas de les répéter mais de les faire vivre, de les conjuguer en les recréant à partir de se propres pratiques sociales. Après l’effondrement des pensées dogmatiques et scolastiques, la mode est à l’empirisme et au témoignage. Mais une pensée qui ne dépasse pas le « vécu » comme on dit, qui n’est pas en situation d’aller au-delà de l’expérience sensible pour l’intégrer dans un ensemble plus large, en tirer des capacités de mise en cohérence est une pensée qui reproduit la place dans la société à laquelle l’ordre établi nous assigné. Attention à ne pas vanter les vertus de ce qui est un signe d’aliénation.
La réunion des communistes entre eux doit donc être le moyen de mutualiser les expériences, les analyses qu’on en tire et les arguments, pour qu’à partir de particulierS, être en situation de produire du global. Il n’y a pas d’accès au pouvoir sur soi-même sans ce travail. Et si je pense qu’il est à la portée de tous, il est démagogique de le prétendre facile.
Qui produit ces pistes ou principes conceptuels et comment ? L’expérience montre que l’on n’adhère pas ou plus durablement à quelque chose auquel on n’est pour rien dans sa définition et son existence. Tout le monde n’a pas le même profil, les mêmes expériences. Mais la production de connaissance et l’expérimentation sont comme un puzzle. Chacun(e) peut en posséder un morceau qui n’a de sens que confronté aux autres. La connaissance découle de la manière dont on peut presser les pratiques comme des citrons. A conditions toutefois de partir d’un postulat qui est la perspective de l’émancipation de l’individu, non seulement comme désir mais comme organisation sociale. Expérimentation parce que je pense que cela passe par des tâtonnements dans les pratiques. Et si je réfute la notion d’avant-garde, celle de devoir expérimenter me semble valide. Il ya un côté laboratoire in vivo. Cela suppose d’accepter que ce soit des expériences et donc qu’une décision collective doit être soumise à vérifications et remises en cause.
Cela conduit à la notion de majorité. Quelle que soient nos expériences
antérieures, nous nous sommes toutes et tous heurtés à cette question. Dans la culture politique dominante cette notion est synonyme de certitudes, de sagesse et de légitimité. L’expérience des collectifs montre à quel point la tentation de reproduire du centralisme démocratique dépasse de loin l’héritage léniniste. S’il s’agit d’un puzzle, toujours en mouvement et d’expérimentations, alors la diversité, le désaccord ne sont plus du registre de la tolérance mais du besoin collectif afin de cerner une réalité complexe, diversifiée, voire contradictoire. La liberté d’une « minorité » (appelons-la encore un peu ainsi) est un besoin pour tous. Ensuite la notion de consensus est à creuser : elle n’offre comme limite que ce qui peut faire éclater le groupe. Et ce, dans un cadre où le désaccord apparaît d’abord comme un moteur et non comme un handicap.
Cela met rudement à mal la notion de « directions ». J’ai tout à fait conscience que dans un tel regroupement tout le monde n’a ni la même expérience ni le même savoir. Mais cela ne peut se mesurer simplement comme on mesure les bons et les mauvais à l’Ecole. Il y a des hommes et des femmes qui en « savent moins » que d’autres mais qui peuvent savoir ce que ces autres ne savent pas. D’autre part, il n’y pas UN savoir. Il y a celles et ceux qui ont une pratique des combats électoraux et qui sont nuls en économie, d’autres qui sont rompus aux combats dans les entreprises ou à l’analyse de ce qui s’y passe et hermétiques aux mouvements altermondialistes et réciproquement. Dès lors, il est indispensable d’organiser la mutualisation déjà évoquée, ce qui n’a rien à voir avec un pouvoir de décisions qui entraîne tout le monde. Il est remarquable comment les institutions nous ont conduit à ne pas respecter le terme pourtant adéquat d’« exécutif » ou de « secrétariat ».
On peut m’évoquer que dans un tel regroupement, tout le monde ne s’y investi pas de la même manière et qu’il y aura toujours des personnalités qui s’affirmeront plus que d’autres.
Il y a effectivement des obstacles qui ne s’évaporeront pas d’eux-mêmes. Il y a le complexe de celle ou de celui qui ne sait pas. De ce point de vue, dans une réunion, les femmes sont en général plus discrètes que les hommes. Il y a le théoricien que l’on ne comprend pas ou l’orateur qui laisse bouche bée. Il y aura toujours cela. Le problème est d’en avoir collectivement conscience et de s’interroger sur quelles dispositions prendre pour en limiter les effets. Il y aussi le manque de disponibilités, nous le vérifions avec les parents de jeunes enfants. Grâce au net, la réunion n’est pas tout. De poser une problématique avant d’engager une réponse peut élargir les possibilités de participation. D’appeler à la suggestion aussi.
Enfin, la question des « têtes qui dépassent ». L’idéal n’existera pas. Mais à mes yeux, le problème n’est pas le même selon qu’une structure légitime l’état de fait généralement actuel ou au contraire son dépassement. J’aurai connu Marchais, Hue et MGB, ils ont comme point commun qu’ils sont en eux-mêmes l’étalon de la vérité : être en désaccord avec eux c’est être en désaccord avec la légitimité du groupe et mettre la cohérence et l’existence de celui-ci en danger. Leur existence produit du conformisme et des effets de court. On ne fera pas de politique sans « tuer le père » au sens psychanalytique de l’expression. On ne subvertira pas l’ordre établi avec une culture de la fidélité et de l’obéissance. De plus, le fait qu’aucune structure ne légitime la place de quiconque permet de faire tourner les « ténors » en fonction des thèmes ou du temps. Cela ne les empêche pas de produire le meilleur d’eux-mêmes, leur laisse, qu’on le veuille ou non, un pouvoir d’influence, mais sans légitimité structurelle.
Qu’est-ce que j’en tire pour l’Association des Communistes Unitaires ?
D’abord une remarque qui à mon sens vaut aussi bien pour la notion de projet, d’identité individuelle ou collective que pour la notion d’organisation : nous avons besoin d’apprendre que rien ne peut être donné comme achevé et que tout est en perpétuelle construction et mouvement. Si nous revendiquons le caractère inachevé de notre association, ce n’est pas par défaut mais par sagesse. La prétention au définitif est le premier pas vers la dépossession pour celles et ceux qui arrivent après la création et vers l’ossification pour les « primo- arrivants ».
En ce qui concerne la structuration au sens de l’existence sur le territoire, avancer vite. En ce qui concerne le projet transformateur et les modalités de fonctionnement commencer tout de suite pour avancer lentement et s’accorder le droit au brouillon et à la rectification. Le définitif n’existe pas. Cela devrait répondre aux préoccupations émises par Isabelle.
Dans un premier temps, nous pouvons tenter de définir ensemble quel(s) type(s) d’activité(s) peut nous réunir. Je dis bien « type » et non « thèmes » ou « axes ». Cela c’est l’affaire de chacun(e). Et c’est à partir de cela que nous pouvons définir les fonctions dont nous avons besoin. Les fonctions avant les structures et les modalités de fonctionnement. Je repense à la mutualisation et à la circulation de suggestions y compris d’actions dont il faut définir les moyens. Après, s’il faut organiser une initiative, cela peut très bien ne pas reposer toujours sur les mêmes. De là découle ce que l’on a appelé « coordination ». (Les mots ont été tellement pollués par des pratiques d’accaparement de pouvoirs qu’il va falloir créer un dictionnaire de néologismes). Cette coordination peut comme cela a commencé, annoncer ses réunions de façon à ce qu’elle soit ouverte à qui souhaite y participer. Mais cela ne suffira pas. J’ai personnellement
l’expérience de cette pratique avec Alternative Citoyenne. Dans la durée on finit par retrouver toujours les mêmes, à part un ou deux, qui, n’étant pas toujours présents ont parfois besoin qu’on leur résume les chapitres précédents. Je crois surtout que cette coordination ne doit qu’être une coordination technique et que chaque décision doit être soumise à toutes celles et tous ceux qu’elle implique. La coordination peut faire connaître des suggestions émises par tel ou tel, ce qui décentralise qui prend l’initiative.
Je suis conscient d’être loin d’avoir fait le tour de la question. J’attends beaucoup de l’intelligence collective et du mélange des sensibilités en matière d’organisation. Particulièrement en ce domaine, nous devons faire preuve de mobilité d’esprit et passer par des phases d’expérimentations.