Le 5 juin 2002, je signais une tribune dans l’Humanité intitulé: "faisons un enfant". Je la reproduis à nouveau aujoud’hui, car elle est, à mon avis, toujours d’actualité sur le fond. Le passage sur la participation à un gouvernement social démocrate serait à retravailler pour distinguer de social libéral et actualiser en fonction des enjeux de 2007. Mais sur l’objectif, je ne change pas un mot.
Faisons un enfant !
La conférence nationale devrait proposer aux communistes de faire un enfant : s’engager dans la création d’une nouvelle force politique dans la filiation du Parti communiste français et ouverte sur d’autres courants de pensée. C’est-à-dire engager le débat sur la décision de travailler sur trois fronts à la fois : un projet de transformation de la société (projet communiste), créer une nouvelle force politique dans la filiation du PCF, une stratégie adaptée a ce projet.
Bref, de la même façon que les bolchéviques avaient décidé de créer une force politique nouvelle pour faire la révolution, il nous faut décider maintenant de faire de même pour répondre aux défis nouveaux qui nous sont posés pour transformer cette société : promouvoir du communisme en actes.
Il faut tirer les leçons de l’expérience. Dans aucun pays, la forme bolchévique des partis communistes n’a réussi à se réformer, à muter, à changer. Les électeurs, les mouvements sociaux finissent par les ignorer. La pente descendante de leur influence, malgré de rares soubresauts, semble inexorable. Comme secrétaire fédéral, j’ai la prétention de bien connaître le parti. Ma conclusion, c’est que le PCF n’est pas réformable, pas mutable. Et ce n’est pas qu’une responsabilité de dirigeants, même si nous en avons beaucoup dans le registre des occasions manquées, de l’insuffisance de travail (théorique). Nous pourrions reprendre à notre compte ce passage du document de congrès de Rifondazione comunista : "Quelque pas ont été faits et quelques gestes courageux ont été accomplis (… ) Mais ils nous ont mené à rencontrer ceux qui, tout comme le mouvement, exigent qu’un progrès significatif ait lieu, qui demandent que l’on n’innove pas par à coups mais que l’innovation soit érigée en système, et qu’une lutte ouverte soit entamée contre les vices et les comportements conservateurs qui dissuadent ceux qui, autrement, seraient intéressés par notre recherche (…) il faut innover radicalement, même sur le terrain des cultures politiques et organisationnelles et des comportements¯.
Il faut un communisme en actes du XXIè siècle. Notre projet pour transformer la société, celui que nous voulons donner à voir, et à construire, à coélaborer, ne peut pas être le même qu’avant avec un peu plus de (écologie, place de la personne, etc.) et un peu moins de.. (centralisme, étatisme, etc.). Il doit être ! La reconstruction de ce projet d’émancipation humaine, de dépassement du capitalisme, d’appropriation sociale, de partage des pouvoirs et des savoirs, doit aussi être capable de tirer les enseignements d’expériences, d’histoires et de cultures différentes de celle de la tradition du PCF et se les approprier. Ce projet doit être l’horizon qui permet d’agir au quotidien, donner force et épaisseur à l’action de proximité, cohérence à nos actes. Il donne envie d’agir, de s’investir, d’espérer à ces millions de salariés (au travail ou sans travail), de producteurs et de créateurs qui ont objectivement intérêt à changer cette société, changer ce monde : encore faut-il qu’on donne à en voir le sens et le possible. A la fois idéal et concrétal communiste décrit ainsi par Jean-Paul Salgue dans une contribution publiée par l’Humanité: "de gratuité (logement, transport… ), de sécurité d’emploi formation, de pôle financier public, de solidarité international", et je rajouterai : de respect des personnes et de la nature.
Il faut une force politique utile, maintenant. Ce nouveau projet et ce nouveau parti (et je n’exclue pas un fonctionnement en tendances pour pouvoir intégrer à égalité d’autres courants de pensée que ceux issus du PCF) doivent permettre à ce parti de participer à un gouvernement social- démocrate tout en continuant à faire avancer ses idées, à construire des majorités d’idées autour d’idées révolutionnaires. C’est un refus d’une politique du pire en laissant le champ à la droite ou à une alliance sociale démocrate/droite que nous devons agir. Participer, sans se lier les mains, sans se taire ou avoir un double jeu : mais être tout simplement nous-mêmes en disant ce que nous avons à dire, en valorisant une activité permettant de gagner de petites choses¯ ou d’empêcher des aggravations, sans en faire l’horizon indépassable des communistes, mais aussi en sachant nommer du communisme concret appelant d’autres dépassements. Créons cette force politique qui participe aux institutions et qui veut les changer, qui participe à tous les lieux de pouvoirs tout en visant à changer radicalement l’ordre des choses existantes. Une force rebelle et constructive. Créons cette force qui se donne aussi pour ambition de créer une Vè Internationale ouverte à toutes les forces par le monde qui agissent pour dépasser le capitalisme, émanciper l’être humain, protéger et promouvoir la personne et la nature, qui agissent pour une autre mondialisation.
Tout cela est certainement incomplet. C’est à débattre. Je suis prêt à changer d’opinion sur bien des points. Mais il me semble incontournable que nous fassions maintenant preuve d’audace. L’audace de faire autre chose car le Parti communiste français, comme les autres partis communistes de par le monde, est au bout de sa course. L’audace de ne pas tout perdre, car sans le patrimoine militant, le dévouement, les capacités humaines et la présence de
proximité du Parti communiste français, rien de neuf ne pourra se créer (tout de suite mais dans dix ans, si !). C’est pour cela qu’il faut une filiation, qu’il faut que nous décidions ensemble et majoritairement de faire un enfant. Nous devons aussi nous ouvrir à d’autres de la mouvance écologiste, révolutionnaire ou du mouvement social, mais aussi de nombreux jeunes sans cartes car nous n’avons pas en nous-mêmes toutes les ressources et nous avons un besoin express de sang neuf. Nous avons besoin d’une nouvelle structure pour nous sortir du moule bolchévik, pour donner toute sa puissance à un nouveau projet révolutionnaire. L’essentiel est de contribuer à changer la société, changer le monde. Ayons cette lucidité et cette audace là. Faisons un enfant ! C’est notre responsabilité de direction que de faire cette proposition aujourd’hui aux communistes.
Article paru dans l’édition du 5 juin 2002 de l’Humanité.