Des universités presque populaires

Un article de Clotilde Monteiro dans Politis

Héritières d’une tradition du mouvement ouvrier, les universités populaires fleurissent un peu partout en France. Elles revendiquent une double mission : offrir un cadre de formation à tous ceux qui n’ont pu accéder à l’enseignement supérieur et dispenser un savoir critique contre les idées dominantes. Limite du genre : le public est plutôt issu des classes moyennes que des catégories les plus modestes.

Depuis une vingtaine d’années, les universités populaires (UP) connaissent un nouvel essor. Toutes proposent des enseignements pour adultes non diplômés, gratuitement ou pour des sommes modiques. L’association des universités populaires de France (AUPF) en recense aujourd’hui une centaine sur tout le territoire, outre-mer compris, qui accueillent 110 000 personnes (1), alors qu’elle en dénombrait une quarantaine au milieu des années 1990, pour environ 50 000 auditeurs. Les plus anciennes d’entre elles ont vu le jour au début du XXe siècle. Elles sont conçues pour être un prolongement des études ou une possibilité d’accéder à des connaissances universitaires et, plus encore, à une réflexion citoyenne.

Le philosophe Michel Onfray a participé à ce renouveau en créant, en 2002, l’Université populaire de Caen (désormais la plus célèbre). S’il s’est inspiré de la tradition des UP, il y a ajouté l’expérience récente des cafés philosophiques (2). Mais, d’emblée, plus politique dans sa démarche, Michel Onfray a voulu proposer un savoir alternatif en réaction à l’émergence de « la pensée unique néolibérale ». D’où l’originalité de ce nouveau réseau à l’intérieur duquel chaque professeur bénévole possède, dans sa discipline, une démarche critique vis-à-vis de la matière qu’il enseigne. Sa formule, qui a essaimé à Arras, Avignon, Narbonne, Lyon, en Picardie et jusqu’à Mons en Belgique, constitue désormais un réseau parallèle d’UP. Attac a repris à son compte cette idée de partage du savoir dans ses universités d’été, et contribue à irriguer ce réseau d’UP alternatives dont l’enseignement critique rejoint les préoccupations altermondialistes (voir entretien avec Philippe Corcuff p. 15).

Le regain d’intérêt ­ pour un savoir partagé ­ d’un public-citoyen, désireux de se cultiver (sans viser de diplôme) a pris de l’ampleur dans les années 1990, après une amorce à partir de 1981. L’arrivée de la gauche au pouvoir a marqué « la réconciliation de la France avec ses enseignants et de fait avec leurs partenaires du domaine extra-scolaire : les militants de l’éducation populaire », observe Denis Rambaud, président de l’AUPF (3). Mais les années 1980 ont été marquées par la dislocation du bloc soviétique et la victoire de la pensée néolibérale. L’utopie politique ne faisant plus recette, le PC notamment perd en influence et abandonne peu à peu les formations qui prenaient en charge ­ depuis le Front populaire ­ l’éducation politique et culturelle de ses militants. Ces défections et le vide idéologique qu’elles ont entraîné se sont ajoutés à la forte pression économique. En croissant, le chômage a engendré anxiété et interrogations sur l’avenir. Paradoxalement, dans les années 1990, les Français ont aussi découvert le temps pour soi. Avec la généralisation de la réduction du temps de travail et de la préretraite, de nombreux adultes, avec une part féminine souvent majoritaire, ont éprouvé le besoin de « cultiver leur jardin ». Certains d’entre eux, fraîchement retraités, ont mis leur temps libre à la disposition de ces universités. L’engouement pour les cafés philo avait d’ailleurs annoncé cette aspiration à trouver, en dehors des endroits consacrés, des lieux de réflexion et d’échanges.

La vitalité du réseau des UP tient à sa diversité. Chaque université populaire est le fruit de la rencontre entre cette demande et un contexte local conjugués à des volontés individuelles. Même si toutes les universités de l’AUPF poursuivent le même objectif ­ « la construction de soi par le savoir » ­, chacune propose un projet original. À Romans, Michèle Bompard, institutrice retraitée et première présidente de l’université populaire nommée « Accès », s’est appuyée dès 1988 sur le travail d’un réseau de mutuelles, créé par des syndicats ouvriers locaux, déjà actifs auprès de la population. L’idée de « permettre à chacun de comprendre le monde qui l’entoure », dit-elle, a fédéré toutes ces bonnes volontés.

« Accès » compte aujourd’hui 1 300 adhérents et favorise la création d’autres UP dans la région. L’Université populaire du Berry a été créée à Bourges en 1981 à l’initiative de Michel Marc. Ce géographe, spécialiste de l’aménagement du territoire, a voulu combler le vide consécutif à la baisse d’audience des MJC locales et « parce que le développement personnel était dans les préoccupations de la population ». Pour Michel Marc, la raison d’être de cette UP est de « créer du lien social et de libérer par le savoir ». Lui aussi se réjouit de constater, depuis sa création, son influence croissante et l’émergence de petites UP rurales dans le Berry.

Patrice Leclerc, conseiller général des Hauts-de-Seine, est l’initiateur d’une université populaire à Gennevilliers qui est née en 2004 « de l’idée d’une forme de démocratie participative qui apporterait à ses habitants des pistes de réflexion par le biais d’un savoir partagé ».
Après avoir sollicité les acteurs du réseau associatif local et quelques enseignants, Patrice Leclerc a rencontré le soutien précieux du Collège international de philosophie. En Haute-Savoie, une université populaire a été créée, en 1993, grâce à Louis Caul-Futy. En 1992, le déficit d’information et de débats sur le traité de Maastricht l’a convaincu d’élaborer un document explicatif sur le traité et d’organiser des rencontres informatives. Au total, mille personnes ont assisté à ces débats politiques et pédagogiques. Fort de ce succès, Louis Caul-Futy a pu convaincre un groupe d’enseignants syndiqués de l’aider à mettre sur pied cette université populaire. Elle a ensuite donné naissance à un réseau de dix UP (qui compte aujourd’hui 10 000 auditeurs) dans le département.

Lire la suite dans Politis n° 884

(1) Année scolaire 2001-2002.

(2) Le mouvement des cafés philo, initié en 1992, compte 170 cafés en France et à l’étranger, www.philos.org.

(3) Dans l’ouvrage Apprendre avec plaisir, refonder des relations sociales, l’éducation des adultes en défis, Denis Rambaud et Marc Jeannerat, Éditions Chronique sociale, 1999.

Quelques adresses

L’Association des universités populaires de France (AUPF) fait partie de l’Association européenne d’éducation des adultes (EAE en anglais), qui regroupe des associations dans 35 pays du Conseil de l’Europe. Elle totalise 45 millions d’auditeurs européens. www.u-p.asso.fr

UP du Berry : www.upberry.org

UP de Romans-sur-Isère : http://accesromans.com

UP de l’agglomération valentinoise : upaval@wanadoo.fr

UP Savoie Mont-Blanc : www.upsavoie-mb.fr

UP de Gennevilliers : http://universite-populaire92.org

UP du Rhin (Mulhouse) : www.u-p.asso.fr

UP de Lille : www.universite-populaire-lille.com

UP de Belfort : www.ideeup.org

UP de Strasbourg : www.u-populaire-europeenne.com

et aussi…

L’UP de Bretagne occidentale : www.univ-brest.fr/fc/ep

Les universités d’Attac : www.local.attac.org

Le Secours populaire : www.secourspopulaire.fr

L’Université pop du Lieu unique à Nantes : www.lelieuunique.com

Le réseau Onfray

UP de Caen : http://perso.wanadoofr/michel.onfray/accueilup.htm

UP de Lyon : http://uplyon.free.fr

UP d’Avignon : www.upavignon.org

UP de la région Picardie : http://unipop.pic.free.fr

UP de Narbonne : http://perso.wanadoo.fr/universitepopu.septi

UP de la Région Picardie : http://unipop.pic.free.fr

UP de Mons : silsmaria@village.uunet.be

Pour trouver une UP près de chez vous, tapez google.fr avec université populaire en mot clé.

Laisser un commentaire