Intervention de Roger Martelli – Conseil national des 2 et 3 octobre 2004
1. Pour réfléchir aux enjeux stratégiques de notre combat, je partirai de la campagne pour le « non » au référendum. Il est possible d’obtenir une majorité de « non » dans ce pays ; mais nous savons que, moins encore qu’en 1992, il ne suffira pas de jouer sur des réflexes de peur ou d’inquiétude nationale pour y parvenir. Prenons au sérieux ce que nous avons dit à l’occasion des élections européennes : la question n’est plus d’être pour ou contre l’Europe, mais de dire de quelle Europe nous voulons. Je suis donc persuadé que le « non » ne l’emportera que s’il sait s’adosser à des alternatives solides aux constructions actuelles bancales de l’Union européenne. Si l’on veut d’une Europe démocratique, sociale, pacifiste, écologiste, féministe, la seule réponse possible est le « non ».. Pour ouvrir la possibilité de cette Europe-là – et elle est franchement possible – alors il faut commencer par refuser le carcan libéral et technocratique que va imposer la Constitution. Mais encore faut-il, pour donner visiblement au « non » toute sa légitimité, opposer à ceux qui spéculent sur le chaos que provoquerait sa victoire, la perspective positive de l’autre Europe dont cette victoire pourrait marquer le point de départ.
Soyons clairs : la bataille entre le « oui » et le « non » ne recoupe pas celle de la droite et de la gauche et, a fortiori, celle du libéralisme et de l’antilibéralisme. Mais si toutes ces batailles ne se superposent pas, elles ne se séparent pas. Pour que le « non » l’emporte, et donc pour qu’il soit populaire, il importe que la bataille pour le « non » soit fortement colorée par l’exigence d’une Europe dégagée des pesanteurs de la BCE, des multinationales et du poids des États ultra-libéraux, d’une Europe libérée du pacte de stabilité, de la dérégulation et de l’Otan. Une Europe, donc, qui tourne enfin le dos à 20 ans de choix néolibéraux et d’échecs sociaux-libéraux. Tous ceux qui voteront « non » ne le feront pas pour ces raisons. Mais notre mission est de faire en sorte que celles et ceux qui ont ces motivations-là s’engagent à voter et à faire voter « non ». Et à cet effet, il n’y a pas d’autre solution que de mobiliser réellement toutes celles et tous ceux qui, par antilibéralisme, veulent dès maintenant d’une autre Europe, et cela pour que toutes les forces du « non » puissent l’emporter en 2005.
2. Cela me conduit à quelques réflexions sur l’antilibéralisme. J’entends parfois dire que l’antilibéralisme ne peut pas être la base du rassemblement parce que notre peuple n’est pas prêt, majoritairement, à des transformations radicales. Sans doute cette affirmation a-t-elle quelque chose de profondément vrai, même à gauche : c’est cela, sur le fond, qui fait depuis si longtemps le bonheur du Parti socialiste. Mais on peut aussi se dire que cette situation – qui n’a pas toujours été – est d’abord le résultat d’une carence d’alternative : c’est parce que le modèle des alternatives anciennes a échoué que les idées d’adaptation au capitalisme ont fait leur nid. S’imaginer que l’on pourrait mettre l’antilibéralisme au second plan des rassemblements, au motif qu’il n’est pas majoritaire, est dangereux. Sauf à penser illusoirement, ce que personne n’avance dans cette salle, que nous pourrions battre le Parti socialiste sur le terrain d’un antilibéralisme honteux. C’est donc dangereux ; j’ajoute que c’est irréaliste du point de vue même du rassemblement. En effet pour que, dès aujourd’hui, des majorités de gauche puissent aller le plus loin possible dans la transformation sociale réelle, il faut que le poids des antilibéraux, intellectuellement, politiquement, électoralement soit le plus fort possible. Si ce n’est pas le cas, les majorités de gauche seront inéluctablement vouées à l’échec et à la désespérance, comme on l’a vu depuis plus de vingt ans.
J’entends aussi parfois dire que l’antilibéralisme est une coquille vide, qu’il y a des antilibéraux seulement en parole, des anticapitalistes en peau de lapin. Je veux bien que cela soit vrai, à condition que cela ne sous-entende pas qu’il n’y a au fond de véritables antilibéraux que communistes… et encore, peut-être pas tous les communistes. J’admets en tout cas sans réticence cette idée que la proclamation antilibérale ne suffit pas, qu’il faut la nourrir d’actes et de propositions solides, non incantatoires. Cela me semble évident. Mais il n’en reste pas moins que quelque chose a évolué en dix ans : les idées de résignation ont reculé, l’impression que le capitalisme avait définitivement gagné a cédé du terrain, et donc l’anticapitalisme, l’antilibéralisme ont repris du poil de la bête. C’est une chance. Le problème est que, si cet antilibéralisme s’est renforcé, il n’a pas encore acquis la cohérence d’un projet global de transformation sociale et il n’a pas encore acquis force politique : le poids politique à gauche est toujours avant tout du côté de la conception social-démocrate. Notre responsabilité est donc double, indissociablement double : nous devons nous efforcer de nourrir le courant antilibéral de propositions partielles et globales qui contribuent à lui donner force et cohérence ; nous devons nous essayer à créer les conditions d’une convergence politique de ceux qui ne s’accommodent pas d’une alternance au pouvoir des libéraux et des sociaux-démocrates. Tout cela, bien sûr, pour que la gauche tout entière gagne (en cela, nous ne sommes pas Arlette Laguiller) et pour qu’elle cesse de décevoir (en cela, nous ne sommes ni Dominique Strauss-Kahn, ni François Hollande, ni Laurent Fabius).
3. Je termine par quelques réflexions sur le parti et sur le rassemblement. Dans la situation actuelle, l’existence du Parti communiste est une aubaine. Malgré les coups durs, il a maintenu sa présence et sa combativité et il a bougé.. Ce n’est pas moi qui vais vous dire qu’il a assez bougé, mais il a bougé. Il a donc un rôle politique important à jouer. N’ayons pas peur des mots : il a une mission à remplir. Les partis politiques en général doivent concourir par leurs propositions et leurs actions à la politisation ; le PCF doit plus particulièrement concourir à la politisation populaire et démocratique. Mais si les discours sur l’inutilité des partis, si les actes de méfiance voire de ségrégation à l’égard des partis sont dangereux, en bref si les partis sont des acteurs politiques irremplaçables, ils ne sont pas des acteurs exclusifs, et notamment sur le terrain de la transformation sociale. Que tous les autres partis puissent fonctionner à l’instrumentalisation et à la délégation est une chose ; mais pour ce qui nous concerne, c’est contre-productif : notre histoire nous l’a assez montré.
Nous devons donc traiter avec attention de ce qui est une véritable contradiction, et qu’il faut traiter en tant que telle, sans la nier. Nous devons tout à la fois affirmer notre identité voire notre fierté communiste, valoriser notre apport et notre rôle et considérer que nous ne sommes pas la représentation politique par excellence du mouvement de transformation sociale. Nous devons tout à la fois affirmer notre identité et ne jamais oublier qu’elle repose d’abord dans notre capacité à faire du mouvement, des protagonistes de la lutte sociale, de chaque citoyen des acteurs politiques à part entière. Tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, tend à instituer une sorte de face-à-face exclusif du parti communiste et du mouvement ; tout ce qui laisse entendre en pratique
que l’expression politique de ce mouvement est déjà trouvée, puisqu’elle est depuis toujours dans le vote communiste, contribue à brouiller notre image.
Que, par exemple, une candidature communiste puisse, au bout du compte, parfaitement exprimer la volonté collective d’acteurs différents, communistes ou non, membres ou non de partis politiques, est pour moi une évidence. Mais si l’hypothèse d’une candidature communiste s’impose, elle doit le faire au terme d’un processus collectif, dont les protagonistes sont ceux qui s’y engagent. Une candidature communiste peut être le terme d’un processus ; elle ne saurait en constituer un préalable, les communistes étant par ailleurs totalement maîtres des choix qui seront les leurs au final. Ne pas tenir compte de cette exigence serait contre-productif : pour le mouvement dans son ensemble ; pour le parti communiste en particulier. En 2004, nous avons montré à tous que la bête, décidément, n’est pas morte. Nos potentialités sont importantes ; nos acquis sont là ; mais notre fragilité reste réelle. Ne gaspillons pas, par excès de précipitation, ce que nous avons engrangé.