Articledans la revue Vendémiaire
Croissance, décroissance et progrès, un débat inévitable
Voilà déjà un an qu’à la tribune du sommet de Johannesburg le Président de la République se faisait acclamer en reprenant à son compte cette idée : si tous les 6 milliards d’êtres humains, qui seront bientôt 8 milliards, prélevaient autant sur les ressources naturelles que les habitants des pays riches il faudrait 2 planètes supplémentaires. De retour à Paris Jacques Chirac a aussitôt archivé ce discours. La décision de baisse des impôts, prise au nom de la relance de la consommation et de la croissance dans notre pays, c’est à dire précisément ce qu’il dénonçait en Afrique, en est la dernière illustration. Les conceptions de Georges Bush père (« notre niveau de vie n’est pas négociable » ) et fils (« la croissance est la solution pas le problème » ) sont appliquées.
Faut-il se contenter de dénoncer le caractère inégalitaire de ces baisses d’impôt et l’asphyxie prévisible des dépenses publiques? Est-ce, à l’inverse, l’objectif même de croissance qui doit être contesté, et le combat progressiste contemporain ne doit-il pas apprendre à dissocier niveau de consommation et qualité de la vie? C’est une question majeure. Jusqu’à présent, la recherche de la croissance fait quasi-consensus, dans l’opinion comme entre les différentes forces politiques, à droite, à gauche, jusqu’à l’extrême gauche, au-delà des oppositions réelles sur la distribution des richesses et la propriété. Ainsi, ceux qui contestaient la réforme des retraites le faisaient le plus souvent en démontrant que l’augmentation prévisible du produit intérieur brut suffirait largement à les financer . En gros, il s’agirait donc de continuer à faire tourner la machine à produire, avec une répartition de ses fruits plus sociale mais toujours nationale.
A ce jour, augmenter la consommation et la production ne signifie rien d’autre qu’augmenter le niveau de prélèvement sur la nature. Est-ce un objectif vraiment désirable pour les pays déjà développés? Donnée incontournable, le niveau de consommation d’énergie de la grande majorité des habitants de notre pays accélère le changement climatique. A l’ampleur des conséquences d’une canicule sur un pays développé comme le nôtre, on peut être terrorisé lorsqu’on imagine le cataclysme que déclencheront les variations climatiques sur des pays pauvres et parfois déjà exsangues . Notre nucléaire national, français pour son implantation mais mondial pour ses risques potentiels, sert en fait de prétexte à prolonger notre boulimie énergétique, avec l’image usurpée de bons élèves de Rio et Kyoto. En outre, les problèmes que poserait la généralisation de cette énergie à l’ensemble de la planète ne peuvent être sérieusement sous-estimés. L’énergie n’est pourtant pas le seul problème à prendre en compte. D’après les travaux autour de la notion d’empreinte écologique, l’empreinte écologique du consommateur moyen excéderait la capacité de la Terre en ressources renouvelables et nous mettons en péril les conditions de vie des générations futures en pratiquant une sorte d’économie de la terre brûlée généralisée . Déjà, l’intensité actuelle de l’exploitation de la nature, qui laisse pourtant de côté la grande majorité de l’humanité, amène les spécialistes à lancer des cris d’alerte dans des domaines tels que la pêche, la forêt tropicale ou l’eau… « A un certain moment de notre histoire récente, nous avons franchi le point d’équilibre entre notre consommation globale et la capacité de régénération de la planète » résume Hervé René-Martin dans un essai récent .
La conscience de ces dangers se répand, et avec elle le sentiment que des transformations s’imposent dans le mode de vie de la majorité des habitants des pays les plus riches. Pourtant jusqu’à présent un seul courant de pensée structuré cherche à remettre en cause la notion de croissance, celui de l’association La ligne d’horizon qui organisait les 26 et 27 septembre un colloque sur «la décroissance soutenable » ainsi présenté : « la décroissance économique des pays surconsommateurs est la seule solution pour éviter l’anéantissement de la biosphère et pour préparer un avenir durable et désirable pour notre planète ». Il faut reconnaître aux militants de ce courant la cohérence dont ils font preuve en défendant depuis des décennies ces idées. Ils ne s’arrêtent cependant pas au refus de la croissance dans les pays « surconsommateurs », puisque ce sont les notions même de progrès et de développement qu’ils combattent . Ainsi l’intervention de José Bové au colloque « Défaire le développement », organisé en 2002, avait pour thème « en finir avec l’idéologie du progrès » . Présentant ses objectifs, l’association La ligne d’horizon combat la notion de développement durable et considère qu’il faut « arrêter de penser que les peuples de la terre ont la même aspiration ». Un de ses animateurs appelle à « créer un monde inspiré des communautés d’autrefois », un autre stigmatise le besoin « de regarder hors de sa communauté de référence ». Le récent manifeste du réseau pour l’après-développement assimile le progrès à une valeur occidentale. Dans les textes de ce courant de pensée, l’idée de valeurs universelles à défendre et à promouvoir est tantôt absente, tantôt récusée, et on a le sentiment que c’est du retour aux identités supposées originelles que pourrait naître une alternative au monde actuel, sans que doive être pensé ce que les hommes et les femmes peuvent mettre en commun à l’échelle de la planète. Ce dernier champ de réflexion est pourtant ouvert, notamment par ceux qui cherchent dans la notion de bien public mondial une réponse progressiste à la mondialisation, en considérant que la société mondiale a besoin de valeurs, de services et de biens communs .
Le débat politique et théorique sur les notions de croissance, de décroissance, et de progrès ne pourra longtemps être esquivé, mais il est bien dommage que les partis politiques qui se proclament en faveur d’une alternative tardent à en s’en apercevoir.
Faut-il se contenter de dénoncer le caractère inégalitaire de ces baisses d’impôt et l’asphyxie prévisible des dépenses publiques? Est-ce, à l’inverse, l’objectif même de croissance qui doit être contesté, et le combat progressiste contemporain ne doit-il pas apprendre à dissocier niveau de consommation et qualité de la vie? C’est une question majeure. Jusqu’à présent, la recherche de la croissance fait quasi-consensus, dans l’opinion comme entre les différentes forces politiques, à droite, à gauche, jusqu’à l’extrême gauche, au-delà des oppositions réelles sur la distribution des richesses et la propriété. Ainsi, ceux qui contestaient la réforme des retraites le faisaient le plus souvent en démontrant que l’augmentation prévisible du produit intérieur brut suffirait largement à les financer . En gros, il s’agirait donc de continuer à faire tourner la machine à produire, avec une répartition de ses fruits plus sociale mais toujours nationale.
A ce jour, augmenter la consommation et la production ne signifie rien d’autre qu’augmenter le niveau de prélèvement sur la nature. Est-ce un objectif vraiment désirable pour les pays déjà développés? Donnée incontournable, le niveau de consommation d’énergie de la grande majorité des habitants de notre pays accélère le changement climatique. A l’ampleur des conséquences d’une canicule sur un pays développé comme le nôtre, on peut être terrorisé lorsqu’on imagine le cataclysme que déclencheront les variations climatiques sur des pays pauvres et parfois déjà exsangues . Notre nucléaire national, français pour son implantation mais mondial pour ses risques potentiels, sert en fait de prétexte à prolonger notre boulimie énergétique, avec l’image usurpée de bons élèves de Rio et Kyoto. En outre, les problèmes que poserait la généralisation de cette énergie à l’ensemble de la planète ne peuvent être sérieusement sous-estimés. L’énergie n’est pourtant pas le seul problème à prendre en compte. D’après les travaux autour de la notion d’empreinte écologique, l’empreinte écologique du consommateur moyen excéderait la capacité de la Terre en ressources renouvelables et nous mettons en péril les conditions de vie des générations futures en pratiquant une sorte d’économie de la terre brûlée généralisée . Déjà, l’intensité actuelle de l’exploitation de la nature, qui laisse pourtant de côté la grande majorité de l’humanité, amène les spécialistes à lancer des cris d’alerte dans des domaines tels que la pêche, la forêt tropicale ou l’eau… « A un certain moment de notre histoire récente, nous avons franchi le point d’équilibre entre notre consommation globale et la capacité de régénération de la planète » résume Hervé René-Martin dans un essai récent .
La conscience de ces dangers se répand, et avec elle le sentiment que des transformations s’imposent dans le mode de vie de la majorité des habitants des pays les plus riches. Pourtant jusqu’à présent un seul courant de pensée structuré cherche à remettre en cause la notion de croissance, celui de l’association La ligne d’horizon qui organisait les 26 et 27 septembre un colloque sur «la décroissance soutenable » ainsi présenté : « la décroissance économique des pays surconsommateurs est la seule solution pour éviter l’anéantissement de la biosphère et pour préparer un avenir durable et désirable pour notre planète ». Il faut reconnaître aux militants de ce courant la cohérence dont ils font preuve en défendant depuis des décennies ces idées. Ils ne s’arrêtent cependant pas au refus de la croissance dans les pays « surconsommateurs », puisque ce sont les notions même de progrès et de développement qu’ils combattent . Ainsi l’intervention de José Bové au colloque « Défaire le développement », organisé en 2002, avait pour thème « en finir avec l’idéologie du progrès » . Présentant ses objectifs, l’association La ligne d’horizon combat la notion de développement durable et considère qu’il faut « arrêter de penser que les peuples de la terre ont la même aspiration ». Un de ses animateurs appelle à « créer un monde inspiré des communautés d’autrefois », un autre stigmatise le besoin « de regarder hors de sa communauté de référence ». Le récent manifeste du réseau pour l’après-développement assimile le progrès à une valeur occidentale. Dans les textes de ce courant de pensée, l’idée de valeurs universelles à défendre et à promouvoir est tantôt absente, tantôt récusée, et on a le sentiment que c’est du retour aux identités supposées originelles que pourrait naître une alternative au monde actuel, sans que doive être pensé ce que les hommes et les femmes peuvent mettre en commun à l’échelle de la planète. Ce dernier champ de réflexion est pourtant ouvert, notamment par ceux qui cherchent dans la notion de bien public mondial une réponse progressiste à la mondialisation, en considérant que la société mondiale a besoin de valeurs, de services et de biens communs .
Le débat politique et théorique sur les notions de croissance, de décroissance, et de progrès ne pourra longtemps être esquivé, mais il est bien dommage que les partis politiques qui se proclament en faveur d’une alternative tardent à en s’en apercevoir.
Eric Le Lann